Primé au Festival de Cannes 2024, Black Dog, réalisé par Guan Hu, sort ce 5 mars. Situé dans les vastes étendues désertiques du nord-ouest de la Chine, ce drame introspectif nous plonge dans une ville en déclin où l’homme et l’animal deviennent les symboles d’une société en mutation.

Lang revient dans sa ville natale aux portes du désert de Gobi. Alors qu’il travaille pour la patrouille locale chargée de débarrasser la ville des chiens errants, il se lie d’amitié avec l’un d’entre eux. Une rencontre qui va marquer un nouveau départ pour ces deux âmes solitaires.

Un récit d’errance dans un décor crépusculaire

Le réalisateur Guan Hu est reconnu pour sa préoccupation humaniste, par le réalisme de son étude sociale ainsi que par son style tranchant, le tout porté par une mise en scène innovante, se focalisant tout particulièrement sur la manière dont des personnes ordinaires et simples perçoivent et subissent les évolutions de son pays. Il connaitra un énorme succès en 2020 avec La Brigade des 800, qui est sans aucun doute le plus gros blockbuster que la Chine ait connu. Il nous livre ici, avec Black Dog, un film à la croisée des genres, où se mêlent western minimaliste, film noir et drame social. L’esthétique contemplative et la mise en scène épurée renforcent l’intensité de cette histoire où l’homme et le chien, deux êtres marginalisés, trouvent refuge l’un auprès de l’autre.

Eddie Peng incarne Lang, ancienne rockstar mêlée à un meurtre, qui revient dans sa ville natale après avoir purgé une longue peine de prison. Son retour est loin d’être triomphal : il est désormais un étranger dans un monde qui a évolué sans lui. Confiné à un rôle d’employé municipal chargé d’éliminer les chiens errants, Lang se retrouve face à un dilemme moral lorsqu’il croise un chien noir solitaire et farouche. Ce lien improbable entre un homme brisé et un animal traqué devient le cœur du récit. Le chien, Xin (dans la vraie vie !), incarne la résistance face à l’hostilité ambiante. Le duo, d’abord méfiant, se construit au fil des épreuves, trouvant un écho déchirant dans les thèmes de la solitude et de l’aliénation, et se façonnant ensemble comme une vraie parabole scénaristique dans un environnement paradoxal.

Une critique sociale subtile et poétique

Car, à travers l’histoire de Lang et de son Black Dog, se dresse aussi un portrait subtil de la transformation urbaine et sociétale de la Chine. L’action se déroule en 2008, à la veille des Jeux olympiques de Pékin, période symbolisant l’essor rapide du pays mais aussi l’effacement progressif des laissés-pour-compte. La ville où Lang revient est une cité autrefois prospères grâce au pétrole, et aujourd’hui en déliquescence, aux immeubles à moitié construits, aux rues désertées avec un zoo plus ou moins à l’abandon. Ce cadre fantomatique, où le sable du désert menace d’engloutir les habitations, illustre un monde en transition, où certains individus sont condamnés à l’oubli. Le chien noir (et Lang aussi d’une certaine manière) devient alors une métaphore de ces exclus, rejetés par un système qui cherche à les effacer.

Un style visuel envoûtant

L’un des atouts majeurs de Black Dog réside dans sa photographie magistrale, filmé en cinémascope. Guan Hu capture avec une précision presque hypnotique la rudesse du désert de Gobi et l’étrangeté d’une ville en sursis. Le contraste entre la nature indomptable et les vestiges humains crée une atmosphère à la fois oppressante et fascinante Chaque plan est composé avec soin : le ciel rose se fond dans la terre noire, des flocons indistincts (neige ou cendres ?) tombent sur Lang, tandis que l’immensité du désert souligne son isolement. La lumière, souvent diffuse et crépusculaire, accompagne la trajectoire mélancolique du protagoniste.

Si le film adopte un rythme relativement lent et contemplatif, il n’en est pas moins traversé par des moments de tension pure. La présence menaçante de la meute de chiens errants, l’hostilité des habitants, et la violence latente du monde qui entoure Lang rappellent les codes du western.

Comment ne pas garder en tête cette scène d’ouverture, absolument magistrale, dans ce désert avec cette meute de chien déferlant soudainement, avec ce bus en arrière-plan ?… Et puis, il y a ces silences qui en disent long, et les dialogues qui se font rares, laissant place aux regards et aux gestes pour exprimer les émotions enfouies. Lang ne parle presque pas. Ce sont les autres qui le font pour lui. Car Lang n’a, pour Guan Hu, rien à dire, « comme un bébé abandonné, mis de côté par l’époque dans laquelle il vit. En réalité il cherche un moyen de communiquer. Il a sans doute beaucoup à dire, mais pas au moment où se déroule le film… »

Black Dog s’impose comme une œuvre marquante par sa beauté visuelle et sa profondeur émotionnelle. C’est un coup de cœur personnel pour film alliant comme rarement le fond et la forme… l’exclusion, la survie, l’amitié, la résilience sont portés par une mise en scène d’une grande délicatesse et un visuel de toute beauté ! Entre poésie et réalisme, ce film prouve que l’humanité peut se nicher dans les liens les plus inattendus, même au cœur d’un monde qui cherche à les effacer. Un film à ne pas manquer pour les amateurs de cinéma contemplatif et de récits puissants.