Commençons par la bible. Attention, pas le Livre, non, mais la bible des passionnés de chanson. Ah oui, bien entendu, la chose est connue, quand il s’agit de ritournelles, on doit prendre un air détaché, prétendre que, « non vraiment, ce n’est pas notre genre… » Mais il suffit de taper l’introduction de « Pour un flirt » au piano, de glisser sur la platine le disco d’ « Alexandrie Alexandra » pour que la duchesse de Guermantes, oublieuse des usages de son faubourg, aussitôt frappe dans ses mains.
Voilà pourquoi nous recommandons la somme de Serge Elhaïk, « Les arrangeurs de la chanson française » (55 €, 2160 p.) Qu’est-ce qu’un arrangeur ? Un compositeur qui écrit les partitions d’orchestre accompagnant la chanteuse ou le chanteur, et qui, précisons-le, transcrit aussi les mélodies, les harmonies dont les artistes ont l’inspiration sans toujours savoir les coucher sur une portée. Pour prendre un exemple concret, Julien Clerc a bel et bien imaginé la musique de « Ma préférence », mais c’est Jean-Claude Petit qui l’a transcrite et qui a écrit ce que jouent les violonistes qui l’accompagnent. Ce travail de l’ombre est admirablement révélé par Serge Elhaïk. Avec affection, patience et méticulosité, ce mélomane a retracé la carrière de compositeurs épatants, faisant redécouvrir les grands orchestrateurs d’autrefois- qui sait que Léo Chauliac a coécrit la musique de « Que reste-t-il de nos amours ? ».
A la lecture de ce préambule, certains s’étonneront peut-être que l’on promeuve le divertissement plutôt que l’esprit de sérieux. Qu’ils ne boudent pas la notion de plaisir et se laissent guider…
Les hégéliens, pour lesquels toute l’Histoire est forcément tragique, auront à cœur d’offrir « Les suicidés de Demmin » ouvrage saisissant d’Emmanuel Droit (Gallimard, 163 pages, 16 euros), Savez-vous ce qui s’est passé du 30 avril au 4 mai 1945, dans une petite ville de Poméranie ? Du fait du déchaînement de pillages, de viols et d’incendies perpétrés par les soldats soviétiques, des femmes et des enfants se sont suicidés par centaines. On songe, en lisant cette étude, aux meilleurs livres d’Alain Corbin, l’unité de temps, de lieu, faisant ressentir toute l’horreur de l’événement.
Moins douloureuse évidemment, passionnante cependant, l’analyse que Denis Crouzet propose de Michelet : « Le XVIème siècle est un héros » (Albin Michel, 603 p. 24,90 €). « Dans un début du XXIème siècle qui n’ouvre pas à l’optimisme, la relecture de Michelet n’a-t-elle pas précisément une vertu quasi magique, interroge l’historien, dans la mesure où se devine, tapies, les ombres qui sont prêtes à nier tout un devenir conservant en lui la mémoire du passé ? » Denis Crouzet n’a pas son pareil pour englober le temps de la Réforme et l’historiographie, les enjeux philosophiques et symboliques de notre passé, la nécessité d’en conserver les richesses.
Tout cela, c’est bien joli, mais les lecteurs sourcilleux que vous êtes allez ronchonner quelque peu : « le protestantisme en tant que tel ne pourrait-il trouver place dans cette chronique, puisqu’il s’agit de cadeaux de Noël? » En suivant le chemin des écoliers, nous avons trouvé ce qu’il vous faut.
Deux des musiciennes qui constituent le trio George Sand sont protestantes : Anne-Lise Gastaldi, pianiste, et Virginie Buscail, violoniste. En compagnie de la violoncelliste Diana Ligeti- mais aussi de Jennifer Tani er Violaine Despeyroux), ces artistes ont réalisé l’un des plus beaux disques de l’année, « Mahler intime » (label Elstir).
Et puisqu’il est impossible de vivre sans Bach, il nous apparaît fondamental que vous offriez l’intégralité du « Clavier bien tempéré » par Jérôme Granjon (label Anima). «J’ai toujours aimé jouer cette œuvre, explique ce pianiste. Pour en profiter pleinement, je me suis lancé dans le projet un peu fou d’enregistrer en une journée les deux livres, plus de quatre heures de musique, un très beau voyage, d’une incroyable variété. » Héritier d’une lignée de pasteurs du côté de sa mère, Jétôme Granjon s’avoue marqué par la culture protestante. « On dit qu’il existe une rigueur protestante, admet-il en souriant. C’est un peu vrai. Mais si je me sens rigoureux, je ne verse pas dans la rigidité ; parfois même, je prends le contrepied de ce tempérament. Je me garderai donc de me ranger dans une catégorie. Disons que le fait de m’être plongé dans les partitions de Bach est évidemment lié à mon parcours personnel et familial. » En tout état de cause, l’interprétation de Jérôme Granjon mérite d’être classée parmi les références. Elle ne doit pas vous échapper.