Le récit d’une reconnaissance constructive au cœur d’un scénario rempli d’authenticité qui nous dépeint dans le même temps une Amérique méconnue.

Synopsis : Après avoir détruit, dans un excès de fougue, la maison de son voisin Abe Turner, en périphérie de Houston, Kris, une forte tête de 14 ans, va probablement marcher dans les pas de sa mère et se retrouver en prison. Abe, un ancien monteur de taureau qui gagne sa vie en travaillant sur les circuits de rodéo chaque semaine, vit le quotidien de tout homme vieillissant. Lui et Kris sont tous les deux à un carrefour de leur vie. Un lien unique va les rapprocher et ils vont tenter de changer et de se connaître mieux avant qu’il ne soit trop tard pour chacun d’eux.

Il est probablement injuste de vouloir comparer Bull d’Annie Silverstein à The Rider de Chloe Zhao, mais en même temps, difficile de ne pas le faire… Tous deux présentés à Cannes (Bull cette année dans la catégorie Un Certain Regard, et The Rider en 2017 à la Quinzaine des Réalisateurs) et œuvres de réalisatrices qui regardent le monde du rodéo, bien qu’elles le fassent de manière très différente. Autre point similaire, ce sont des films paisibles et naturalistes qui cherchent à éclairer des vies dures et pénibles qui ne sont pas souvent mises au centre des productions cinématographiques. Si l’on en reste à ces comparaisons, c’est alors un défi qui se présente pour Annie Silverstein de renouveler le succès de Chloe Zhao, qui avait remporté le premier prix de la Quinzaine des Réalisateurs, puis le Gotham Independent Film Award comme meilleur long métrage indépendant de l’année. Nous verrons bien, mais il demeure que Bull est un très beau film à la fois tendre, émouvant mais aussi dur, non par les images mais plus simplement par les tranches de vie racontées pleines de blessures émotionnelles et physiques.

Amber Havard joue Kris, une jeune fille de 14 ans, qui semble parfois vouloir suivre le même chemin que sa mère qui est en prison ; Rob Morgan est Abe, un ancien rider de rodéo qui essaie de s’accrocher dans le circuit professionnel malgré un corps blessé et un père ayant succombé sous les sabots d’un taureau. Tous deux vivent ainsi une vie difficile et lugubre dans la banlieue de Houston. Abe est seul et Kris habite avec sa petite sœur chez sa grand-mère qui est en train de baisser les bras devant la situation qui s’enlise. Tous deux ont des vies qui semblent pleines d’impasses : Elle supporte les agressions sexuelles occasionnelles et devient une petite trafiquante de drogue parce qu’elle n’a pas la force de dire non, alors qu’Abe répond, pour sa part, à un médecin qui voudrait le voir gagner de l’argent autrement qu’en bousillant son corps, par un simple : « Pas pour moi ». Les deux personnages ont ainsi finalement choisi le chemin de l’enlisement, de la fatalité destructrice… ce qui signifie notamment pour Kris de refuser d’admettre qu’elle ressent quoi que ce soit et, pour Abe, de prendre des médicaments pour ne plus ressentir son corps le déserter.

C’est par la force des choses que Kris et Abe se retrouve mis en relation. Et Annie Silverstein laisse leurs interactions se dérouler lentement car Bull est un film patient, sans être lent et soporifique… Hélas, et comme souvent dans ce genre de situation, leurs histoires semblent comme hantées par une forme de malédiction. Et oui, les difficultés s’amoncellent, même si Kris trouve un peu de lumière dans son nouveau rêve (fou) de monter elle-même des taureaux un jour, alors qu’Abe trouve quelqu’un de qui s’occuper quand il ne se bat pas contre lui-même. C’est le besoin l’un de l’autre qui jaillit de Bull comme un message prophétique et universel. C’est d’ailleurs dans ce besoin qu’apparait aussi la capacité à se reconnaître soi-même et mutuellement. On appréciera la somptueuse lumière du film, un réalisme qui crève l’écran, de superbes plans portés, et de très bons acteurs… tant d’éléments qui, tel un bon documentaire, nous font concentrer notre attention sur les émotions relationnelles entre lui, cowboy noir vieillissant sur la fin de sa carrière et elle, jeune, désinvolte, paumée et recherchant son identité.

Un film qui échappe totalement au pathos possible, qui n’ait jamais larmoyant, et qui reste loin de tout misérabilisme malgré la violence sourde de l’histoire. Une histoire qui devient un bel hommage d’une jeune réalisatrice américaine à tous ceux qui parviennent à se frayer un chemin dans les endroits sombres de l’existence humaine.