Un film interprété par un grand Antonio Banderas lassé du monde, barbe poivre et sel et cheveux indisciplinés.

Synopsis : Une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.

Pedro Almodóvar est un habitué de Cannes depuis maintenant deux décennies, et bien qu’il ait reçu quelques prix – notamment celui du meilleur réalisateur en 1999 pour Tout sur ma mère et celui du meilleur scénario en 2006 pour Volver – il n’a jamais remporté la palme d’or. Alors, pourquoi pas cette année, non seulement en raison de la saveur latine du jury du concours, mais aussi parce que son 22ème long métrage semble avoir séduit généreusement.

Douleur et gloire place l’auteur espagnol dans une humeur introspective. Il suit un cinéaste madrilène d’âge moyen, Salvador Mallo (Antonio Banderas, qui ressemble beaucoup à Almodóvar) dans sa réflexion sur ses choix de vie, personnels et professionnels, bons et mauvais. Tout au long du film, Almodóvar construit une image complexe d’un artiste talentueux mais inconstant dont les jours de gloire semblent être loin derrière lui. Nous découvrons également que Salvador souffre de maux multiples dont des douleurs au dos chroniques et des crises d’étouffement occasionnelles, ce qui explique son envie soudaine de réconcilier ses victoires et ses tragédies passées.

Salvador se remémore son enfance et notamment comment le fait d’avoir été promu au poste de soliste dans la chorale de l’école lui a conféré une immunité académique. Au lieu d’une véritable éducation formelle, il décrit comment il a a acquis nombreuses de ses connaissances par l’expérience, comme l’apprentissage de la géographie en parcourant l’Europe avec ses films ou l’anatomie humaine au travers d’une succession de maladies chroniques personnelles (qui d’autre qu’Almodóvar pourrait prendre un sujet aussi clinique que le système circulatoire humain et l’illustrer en des termes aussi sensuels ?).

Le principal catalyseur de l’histoire de Salvador est son film Sabor qui ressort grace à la Cinémathèque. Après l’avoir regardé à nouveau avec un regard neuf, Salvador reconnaît sa qualité, mais hésite à parler de son héritage et évite les questions-réponses rétrospectives, préférant plutôt passer du temps avec l’acteur principal Alberto (Asier Etxeandia) qu’il retrouve après une longue querelle à la sortie du film. Almodóvar n’a aucune ambiguïté sur le talent de réalisateur de Salvador, mais il est sceptique quant à l’homme qu’il est devenu. Lors de diverses rencontres avec des personnages de son passé, Salvador se révèle impétueux, narcissique et autodestructeur. Il est entouré de gens qui s’occupent de lui, mais il démontre rarement de l’affection. Dans une scène émouvante et désarmante, Alberto interprète un monologue écrit par Salvador et intitulé Addiction, une sorte de confession franche racontant une romance brève mais intensément passionnée qui a pris fin trois décennies plus tôt après avoir été amoindrie par la dépendance de son amant à l’héroïne. La terrible ironie, c’est que Salvador vient lui-même de commencer à utiliser de la drogue pour compléter le cocktail relativement doux d’opiacés sur ordonnance qu’il prend pour son mal de dos.

Comme pour Roma d’Alfonso Cuarón, Douleur et gloire est directement attaché au subconscient de son créateur, bien que l’on ignore dans quelle mesure véritablement l’histoire de Salvador reflète celle d’Almodóvar. Par exemple, le jeune Salvador (Asier Flores) est encouragé par sa mère (Penélope Cruz) à apprendre à lire et à écrire à un voisin analphabète, alors qu’en fait c’est ainsi que la mère d’Almodóvar gagne sa vie. Almodóvar ne fait que des films personnels, et il a pu dire que celui-ci l’a laissé « émotionnellement nu ». On pourra aussi observer qu’Almodóvar met l’accent sur les propriétés purifiantes et vivifiante de l’eau : Salvador suit des séances de thérapie aquatique à la suite d’une opération des vertèbres ; dans la rivière près du village où il a grandi, sa mère et d’autres femmes lavent le linge et chantent au soleil méditerranéen ; un seau rempli d’eau savonneuse déclenche le réveil sexuel d’un jeune garçon.

Enfin, on retrouve cette fois-ci encore un bon nombre des acteurs réguliers d’Almodóvar dans des rôles clés. La magnifique Penélope Cruz bien sûr dans le rôle de la mère de Salvador, Cecilia Roth en grande dame glamour, Nora Navas en assistante personnelle de Salvador, Julieta Serrano en mère mourante, mais aussi le compositeur Alberto Iglesias qui propose une bande-son très envoûtante. Mais c’est surtout Banderas qui apporte la contribution la plus significative. Il joue son personnage avec humour, tendresse et un même un vrai sens du ridicule. À 58 ans, il témoigne d’une présence charismatique et vraiment imposante qui pourrait bien lui valoir le prix d’interprétation masculine.

Les fans d’Almodóvar regarderont Douleur et gloire à la recherche d’indices sur le caractère autobiographique de ce film. D’autres peuvent simplement s’asseoir et apprécier la manière délicate et lyrique avec laquelle Almodóvar montre son héros cinéaste voyageant dans son passé.