Ne pas s’en laisser conter par la camarde, saisir la mort à bras le corps et le lui tordre le cou. Quoi qu’elle prétende, elle ne nous aura pas. Nous ne lui cèderons rien. Parole ! Ou mieux : paroles et musique !
Il existe une foule de chansons traitant de ce sujet. L’exhaustivité n’est pas de mise aujourd’hui : c’est un thème à construire une thèse à l’ancienne, douze ans sur un siège de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu s’il vous plaît, ces répertoires à n’en plus finir. Alors, au fil de cette inspiration, soyez raisonnables, ne demandez que le possible.
A peine ouvrons-nous ce dossier, frappe une évidence : pour les chanteurs comme pour La Rochefoucauld, « le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ». La mort est présente partout, mais par des biais : la tradition du testament drolatique ou la peur, la douleur de l’absence ou de la perte, oui, trois fois oui. Mais décrire la mort en face, Léo Ferré, seul, s’y est essayé. C’était en 1966, il venait d’avoir cinquante ans :
On décèle dans cette œuvre les références aux formes classiques de l’art (en particulier le peignoir et la faux) mais encore une forme de désespoir : pour Ferré, la mort n’est pas un passage, mais bien une fin absolue. Notez l’orchestration de Jean-Michel Defaye, dont le traitement des violons, fondé sur des traits, des contrechants parfois dissonants plutôt que sur un accompagnement sensuel, accentue le tragique de la chanson.
Sept ans plus tard, le même artiste a mis en musique un texte de son ami Jean-Roger Caussimon : « Ne chantez pas la mort ». Une fois la mort y était une personne, mais elle était déjà sublimée, dans une inversion de la parole du Cantique des Cantiques, forte comme l’amour :
Au-delà, si l’on ose dire, les artistes ont abordé notre inéluctable finitude par d’autres chemins. L’angoisse et le remord, la désolation, tiennent, on le devine, les premiers rôles. Ainsi dans « J’arrive », de Jacques Brel – sur une musique de Gérard Jouannest – une chanson parue à la fin de l’année 1968 :
Notez encore la remarquable orchestration, écrite par François Rauber : les cordes scandent l’accompagnement, ce qui renforce le caractère dramatique de l’œuvre. Ce n’était pas la première fois que l’artiste belge abordait le sujet de la mort. Mais il l’avait jusqu’à présent traité avec humour ; on pense en particulier à « Le dernier repas », ou bien à « Tango funèbre». Avec « J’arrive », il vise l’essentiel, cette satanée peur de mourir, et formule même une question métaphysique : « où aller ? »
Moins célèbre, et pourtant remarquable, une chanson mérite une écoute attentive, parce qu’elle évoque la maladie mortelle: « Ce soir je te dis tout », de Gilbert Bécaud, sur un texte de Maurice Vidalin, parue en 1976:
Cette fois, l’orchestration de Christian Chevallier souligne le désir d’un instant de complicité, de sensualité amoureuse entre l’artiste et son épouse – ou sa compagne. Et la conclusion de l’œuvre, entre espérance et fatalité, rappelle que la mort est irrémédiablement associée à notre destinée.
Georges Brassens a, lui aussi, traité de la mort dans ses chansons. Mais, peut-être parce qu’il a souffert tout au long de sa vie d’adulte – assez brève ne l’oublions pas : il n’a pas vécu plus de soixante ans – l’auteur a souvent choisi de l’aborder sous une forme poétique plutôt que frontale. On citera d’abord « Le testament », parue en 1956, et bien entendu « Supplique pour être enterré sur la plage de Sète », éditée en 1966 :
Êtes-vous toujours avec nous ? Certains d’entre vous pensez peut-être que nos choix penchent du côté d’un passé lointain. Sensible à ce reproche éventuel, nous avons recherché quelques références plus récentes. Nous avons trouvé le premier grand succès des Rita Mistouko :
Le point de vue de Jean-Jacques Goldman aussi :
L’une des premières chansons d’MC Solaar enfin :
Mais ces trois chansons ne datent pas d’hier. Faut-il en déduire que les jeunes artistes se détournent de la mort ? Pas du tout. Vianney, qui assume le fait d’avoir la foi, se paie même le luxe d’évoquer l’âme des défunts :
Comme nous l’avons dit, ce répertoire ne vise pas l’exhaustivité. Nous avons, par exemple, négligé le thème de l’amitié – « Jojo » de Brel ou « L’absence d’un ami » de Gilbert Bécaud et Louis Amade aurait mille fois mérité votre écoute. Et Dieu dans tout ça ? Bien sûr, il existe, même dans la chanson. Serge Gainsbourg prétendait qu’il fume des havanes. Qui sait ? Quoi qu’il en soit, nous pouvons croire que la mort n’est qu’un passage, et nous savons qu’en France, tout finit par des chansons :