Après « Les vagues enchaînées » qui nous avaient entraînés dans les méandres mémoriels de l’horreur de l’esclavage, l’auteur nous captive à nouveau et nous embarque dans un voyage paradoxal de violence et de grâce.

Sullivan de Georges est un trader parisien, bourgeois, addict aux excès. Dans la fureur de ses combats clandestins chez les riches avides de spectacle, il lutte aussi contre lui-même aux quatre coins du monde. Mais des yeux l’observent, le guettent et le suivent dans son mal de vivre. Son salut viendra-t-il de son amour pour ce pays plein de charme et de saveurs qu’est le Kenya, ou de cette sublime femme africaine rencontrée dans le hasard de sa vie tumultueuse ?

Parlons tout d’abord de l’histoire. Le chaos de Sullivan a cette force du récit initiatique nous donnant de suivre l’évolution de Sullivan de Georges vers la compréhension du monde qui l’entoure, qu’il combat, fuit ou admire, mais aussi, sans doute, vers cette quête de lui-même avec tous ses paradoxes. Une histoire captivante, presque hypnotique, qui dans ce parcours de vie tellement peu banale et tellement loin du lecteur moyen arrive malgré tout à nous arracher à nous-mêmes, ouvrant le jeu de l’implication, d’une identification possible. C’est celle, notamment, du combat personnel avec nos démons intérieurs, ou plutôt, pour être plus proche de Sullivan, ces fauves qui nous guettent, cherchant à nous débusquer et nous dévorer de l’intérieur. Cette « ennemi dans la glace » que chante Alain Chanfort, car « il y a chez moi un hôte indésirable, insaisissable, qui vit sous mon toit, qui dort dans mon lit, qui jamais n’m’oublie, l’ennemi dans la glace dont le regard me glace, il sourit mais j’le connais bien… » Et c’est aussi la lutte avec l’amour… Rien de nouveau sous le soleil… car comme disait l’apôtre Paul dans son épître aux Romains (La Bible) « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas ». Oui, l’enfer et le paradis ne sont jamais loin l’un de l’autre, et l’histoire de Sullivan de Georges en est un sublime exemple. Le chaos de Sullivan est la narration d’une descente aux enfers, ou plutôt, d’une chute lente, vertigineuse et peut-être inexorable, voire fatale d’un homme en prise avec ses excès et pour qui la survie est devenue le maître mot. Mais c’est aussi, au cœur même de ce périple, la Rencontre. Rencontre avec son destin, avec le réel, avec le temps « le tic-tac du temps qui a grignoté mon intérieur fade, face à une âme malade » comme dira Sullivan. Rencontre enfin avec l’Aimée…

Et puis derrière les mots qui se dévorent, il y a la main qui les pense et les écrits. Rémy Pulvar, une fois encore, est émouvant dans son geste. Je parlais de grâce, et c’est précisément ainsi que je vois sa démarche d’écriture. Avec ce troisième roman, la violence est pourtant là centrale. Une violence brute, aride et percutante. Il ne fait pas là dans la dentelle dans le récit des combats physiques comme dans ceux qui se jouent dans le fort intérieur du héros. Le lecteur se retrouve catapulté dans la peau du spectateur… il s’habille alors des habits élégants et détestables à la fois des voyeurs, des parieurs, de la plèbe avide de sang pour se divertir. Mais Rémy Pulvar nous bouscule, et d’une page à une autre nous transporte aussi d’un pays à un autre, des ruelles parisiennes à une plage africaine, d’un lugubre décor d’un vieux pétrolier russe désaffecté à un village éventré de Sardaigne devenu le ring du démon. Et à chaque fois, cette même minutie du détail, l’auteur devenant tour à tout artiste peintre, apportant les contours d’une toile de maître, guide touristique, évoquant les lieux, leurs histoires, leurs couleurs, leurs odeurs, et conteur, avec ce miraculeux pouvoir de l’allumage de notre imagination ou du rêve qui donne vie à des sons, à des mots, à des phrases…

Ce chaos de Sullivan vous mettra peut-être quelques instants sous le choc où l’arbitre se met à décompter mais pour mieux vous relever et inspirer un souffle de vie renouvelé et renouvelant.