Un mardi soir de décembre, ma fille a l’excellente idée de m’emmener au théâtre voir un caricaturiste de presse qui croque en direct l’actualité. Mais quelle bonne idée ! A peine les premiers échanges avec la salle débutés qu’Emmanuel Chaunu (Chaunu tout court pour la presse) apostrophe un spectateur en lui reprochant d’être catholique. Et le dessinateur d’ajouter : « Vous m’en voulez parce que je suis protestant ? ». Nos cœurs de parpaillotes ne font qu’un tour et en rentrant nous devisons sur « Y aurait-t-il un humour protestant ? ». Pourquoi ne pas poser finalement la question directement à l’intéressé ? Ce qui fut fait, parmi bien d’autres sujets… Portrait d’un caricaturiste avec convictions.
Faites-vous souvent référence à votre protestantisme dans votre spectacle ?
Presque toujours ! J’en avais d’ailleurs fait le thème central de mon avant-dernier spectacle, « Incontrôlable » où je mettais en scène la guéguerre entre catholiques et protestants, à la manière de celle que les médias nous relatent habituellement entre juifs et musulmans. Ce type d’humour n’existe pas en France, alors que les Anglais – les Monty Pythons par exemple – adorent railler les différences entre protestants et catholiques. Je suis à la fois fier d’être protestant – je porte d’ailleurs une croix huguenote – et dans le même temps je suis capable de me moquer de mon éducation.
Y a-t-il- selon vous un humour protestant ?
Un humour spécifiquement protestant, non – d’autant que nous avons la réputation d’être des gens sérieux. Notre humour, c’est celui des minorités, capable d’auto-dérision. J’ai été élevé dans une famille normande plutôt austère. Mon père était historien, prof à La Sorbonne et prédicateur dans notre temple. Il pouvait débuter certains de ses prêches en araméen. Notre temple de Courseul-sur-Mer avait été bombardé pendant la guerre et le sol se confondait avec le plafond. Ça n’est pas l’Oratoire, il fallait s’accrocher !
Pour moi un protestant est le « même partout » : discret en toutes choses mais fier de sa différence, estimant avoir « une ligne directe avec l’Eternel » – ce qui lui donne incontestablement une certaine supériorité. Dans le même temps, les petits catholiques de mon enfance étaient un peu schizophrènes : des petits voyous dans la vie de tous les jours, qui se transformaient en anges blonds et bien coiffés sitôt leur aube endossée. Et eux dans leurs églises, ils avaient des images, des vitraux, et même des statues de femmes ! Cela prête facilement à la caricature, tendre et acide à la fois.
Est-ce cette absence d’image qui vous a donné le goût du dessin ?
Je me souviens que, sans support visuel, il fallait s’accrocher à la parole des pasteurs. Il m’arrivait de fixer les nœuds du bois du banc devant moi pour m’imaginer des dessins. Le protestantisme relève d’une pensée complexe. Or, la caricature, c’est la pensée simplifiée.
Justement, quelle est l’influence de cette culture protestante sur le regard que vous portez sur l’actualité que vous commentez ?
Le caricaturiste est un témoin de son temps, dont il révèle les travers. Le premier réflexe est certainement celui de ne pas hurler avec les loups, mais d’avoir du recul et un regard critique sur ce qui se passe. Un regard protestant sur l’actualité tient à la fois à l’éducation, mais aussi à une prise de conscience, issue de la Réforme, qui est un mouvement profond et vivant : on ne détient pas la vérité. Et dans le même temps j’ai parfois une certaine gêne à lapider ceux que l’on brocarde.
Peut-on tout dessiner ?
Tous les jours, je dessine l’actualité dans « Ouest-France », qui est le premier quotidien national par son tirage. Je tiens compte de la sensibilité des lecteurs. Je ne veux pas être un diviseur par esprit libertaire à tout prix. Ainsi, je m’interdis de représenter le prophète par souci d’unité. Je ne vois pas l’intérêt de créer des polémiques, ni de blesser des gens. Je ne crois pas au caricaturiste militant. Il y a des limites dans le dessin. Mais je peux tout à fait représenter Dieu. D’ailleurs on peut faire entrer l’histoire de la Bible dans le dessin. Elle contient des symboles très forts.
En cette année de jubilé, dessinerez-vous Luther ?
(Sourire) Pourquoi pas ? Encore que, beaucoup de gens pensent que « Martin Luther » est un pasteur noir américain mort assassiné ! Esthétiquement, Luther et Calvin sont très intéressants, très opposés. Je m’imagine bien les représenter : l’un tout en rondeur et bonhomie, l’autre efflanqué et austère. C’est un peu Laurel et Hardy ! Je n’ai pas beaucoup d’autres choix car, nous autres protestants, n’avons pas de personnages providentiels auxquels nous raccrocher, à part quelques personnalités emblématiques – politiques pour la plupart – mais que leur rationalisme a souvent éloigné de leur foi.
Vous intervenez dans les écoles, quel message y faites-vous passer ?
J’aime bien l’idée de s’infiltrer dans ce qui existe. Dans « l’après-Charlie », le ministère de l’Education nationale a mobilisé des dessinateurs. J’interviens dans des établissements scolaires pour parler de la caricature et du fait religieux. Les enseignants cofondent souvent laïcité et laïcisme. Or, il n’y a pas de laïcité sans enseignement du fait religieux. Il faut régénérer la laïcité, lui donner un sens. Enseigner le fait religieux permet de comprendre les différences. Les jeunes l’entendent bien ainsi. Le protestantisme, par exemple, est plus qu’une religion : c’est un pan de l’Histoire qui nous relie à notre pays.
Qu’est-ce que le protestantisme peut apporter aux sujets de société d’aujourd’hui ?
Le protestantisme est un christianisme des Lumières, qui doit sans cesse faire le grand écart. Il a un pied dans la transcendance, et un pied dans la raison. Cela n’est pas sans faire naître de doutes…
La Réforme est un mouvement qui a été capable de faire évoluer une religion. Il est important pour nous de montrer cet exemple – ou cette méthode – aux religions qui sont dans l’exégèse : on peut lire les textes avec recul. Sur d’autres sujets, nous avons une tradition qui tient à notre histoire : la tolérance, l’accueil des autres – comme pour les exilés, la place des femmes dans la religion… Soyons des vigies : évitons les pièges de la division pour continuer à témoigner dans un monde moderne.
Emmanuel Chaunu présente « Le Chaunu show » tous les mardis soirs à 21h30 et jusqu’à fin avril 2017, au Théâtre Montmartre-Michel Galabru : « une belle tranche d’humour et d’analyse de l’actualité et du monde en mouvement ». Une jolie surprise vous attend à la fin.
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