Reprenant les codes du western avec le scénario d’un polar social travaillé visuellement avec minutie, façon orfèvrerie, c’est l’histoire de deux âmes gravement abîmées que tout oppose mais qui se retrouvent unies pour le meilleur et pour le pire.
Sortie de prison il y a six mois, Cheyenne (Veerle Baetens) fait des ménages sur les ferries en rêvant de partir en Amazonie. Lola (Charlotte Le Bon) est une ravissante parisienne, égoïste et sans scrupules, qui vient de débarquer dans le Nord pour s’installer avec son amant. Quand Lola tue l’épouse de son amant, Cheyenne, témoin involontaire, sait qu’elle va être accusée du meurtre à cause de son casier. Elle est obligée de demander au caïd de la région de faire disparaître le corps. Une faveur qui va les entraîner dans un très dangereux jeu de dupes, tout en leur permettant de faire fortune à l’insu de tous…
Surprise ! Cette fin d’année a tout de même du bon… Qui l’eut cru ?! Elle nous offre en effet clairement de somptueuses et étonnantes surprises en termes de séries. Plusieurs de mes récentes critiques en ont ainsi fait l’écho et Cheyenne et Lola aujourd’hui vient s’y ajouter en se plaçant tout de go dans le haut du tableau. Le haut… que dis-je là ?… Car c’est aussi d’ailleurs dans les Hauts… de France, comme on dit aujourd’hui, que nous sommes transportés, ou plutôt catapulté sans autre forme de procès, au cœur d’une misère sociale bouleversante, d’enjeux éthiques et sociétaux fondamentaux, de paysages et d’environnements émouvants, et de personnages tellement attachants. Alors question ambiance on est loin de Bienvenue chez les chtis et beaucoup plus proche de Roubaix, une lumière, même si l’humour et un peu de fraîcheur se glissent subtilement de temps à autre au détour d’un dialogue ou d’une scène, pour surtout ne pas tomber dans le misérabilisme et nous permettre aussi de reprendre notre respiration afin de mieux plonger encore un peu plus profond dans la gravité, la violence et le clair-obscur.
Cette remarquable fiction basée fondamentalement sur la force de l’amitié et d’une forme de sororité (multiple) est le fruit de Virginie Brac, une auteure de romans noirs, déjà fournisseuse de la saison 2 d’Engrenages mais aussi de Paris et réalisé par le jeune Flamand Eshref Reybrouck qui avait déjà brillamment sévit pour la série Undercover diffusée sur Netflix en 2019. En allant puiser dans le livre Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, un récit poignant sur la précarité en France, et en y mêlant d’autres intrigues complémentaires dont celle des migrants, la scénariste nous fait entrer dans un univers où se mêlent diverses réminiscences comme Thelma et Louise, Breaking Bad, Engrenages ou encore un soupçon de Ken Loach. Au final, c’est une symbiose quasi parfaite qui se construit entre écriture, réalisation et distribution. Car si, en plus du récit, Cheyenne et Lola brille par son esthétique, par ses cadres et sa colorimétrie travaillée, la réussite de cette série repose sur le duo de personnages interprétées par la Flamande Veerle Baetens – que l’on avait notamment découverte dans Alabama Monroe mais qui, ici, physiquement est presque méconnaissable – et la Québécoise Charlotte Le Bon qui se glisse comme dans un gant à sa parfaite mesure dans la peau de Lola, cette poupée en quête d’amour et d’argent mais, semble-t-il, dépourvue de compassion et de morale. À propos d’elles, Virginie Brac raconte : « Quand j’ai créé Cheyenne et Lola, je voulais deux héroïnes féminines qui soient prises dans une dynamique, dans une dramaturgie, à la Breaking Bad. C’est-à-dire qu’à chaque fois, elles vont aller de catastrophe en catastrophe. Mais chaque catastrophe est en fait porteuse d’un succès. C’est toute l’ambiguïté de Breaking Bad. »
Si le titre de la série focalise sur ces deux femmes, la force de la distribution réside néanmoins également dans la qualité de la galerie de femmes et d’hommes qui les entoure. Pour citer quelques noms, il y a tout d’abord Mégane, la sœur de Cheyenne, jouée par la pétillante Sophie-Marie Larrouy qui éblouit notamment par une prestation d’animatrice hors pair lors d’un concours dont je vous réserve la surprise de la teneur, mais qui apporte aussi, au milieu de tant d’autres axes thématiques, une réflexion pertinente sur le poids de l’apparence pour une femme. Patrick d’Assumçao dans le rôle de Yannick, le caïd de la région, est carrément exceptionnel. Si son personnage inspire la crainte et le dégout, le scénario et son interprétation parviennent à ne pas nous faire rester à la surface et nous font entrer dans la compréhension d’un bonhomme plus complexe qu’il n’y parait. Et puis c’est aussi Babette (Natalia Dontcheva) dont son importance ne va cesser de croître jusqu’à un final où son simple regard nous laisse entrevoir la possibilité d’une autre saison ou encore de nombreux autres rôles plus en retrait mais néanmoins indispensables et participant intrinsèquement à l’ambiance globale de la série : Dany Chapelle, l’avocate du mari de Cheyenne, l’homme de main de Yannick et son enfant handicapé, le grand costaud qui surveille la jeune fille maltraitée, le couple qui doit se marier, Espérance la passeuse de migrants, bien sûr le gentil flic amoureux, etc.
Alors oui, le scénario est épais et pourrait, à première vue risquer de transformer l’arc narratif en un grand huit qui n’en finit pas. On y parle ainsi de misère sociale, de prostitution, de trafic de migrants, de drogue, de ripoux, de maltraitance infantile, de racisme… mais paradoxalement, ça le fait grave ! L’alchimie se crée, se développe en évitant les pièges du pathos et des clichés, au moyen d’une vraie tension permanente qui ne vous donne jamais l’impression de deviner la suite et grâce à des dialogues percutants et tous ces personnages savoureux si bien tracés et incarnés. Et au final, Cheyenne et Lola demeure sans doute une vraie et belle histoire d’amitié et, osons le mot – soyons fou – d’amour comme on en fait sans doute rarement.