Blanche Gamond, Isabeau Vincent de Saoû, Adélaïde Hautval… Pourquoi publier une série de biographies de femmes protestantes ?
Eric Peyrard : Il s’agit de femmes « invisibilisées » depuis toujours. Elles sont moins mises en lumière que les hommes. Au sein du monde protestant, de nombreuses femmes ne sont que la « sœur de », la « fille de », « la femme de »… On n’a pas l’habitude de les reconnaître pour leurs propres mérites. Dernièrement, par exemple, grâce au travail de Gabrielle Cadier, on a découvert l’oeuvre d’Eugénie Bost, la femme du célèbre pasteur français John Bost. Sans elle, le travail John Bost, pionnier de l’action sociale à la fin du XIXe siècle, n’aurait pas eu la même ampleur. Eugénie Bost assurait la logistique, les finances, la gestion… Au sein de notre maison d’édition, face à ce constat, nous avons décidé de réagir.
Ces publications font-elles suite à la vague #MeToo ?
Non. On avait commencé à réfléchir à ce projet et à publier des biographies féminines (Louise Dumas-Trocmé, Eugénie Bost, Madeleine Blocher-Saillens, etc.) avant que ne commence ce grand mouvement mondial. En France, il y a un réel retard de la considération féminine qui n’est pas propre au protestantisme mais qui est aussi présent au sein du protestantisme.
Le féminisme fait aussi partie des combats de votre maison d’édition…
Absolument ! Nous cherchons à mettre en valeur les hommes et les femmes qui ont accompli plus que ce que leurs moyens semblaient leur permettre. Et nous nous attachons à ce que les personnalités féminines comme les historiennes et auteures ne soient pas, comme c’est trop souvent le cas, oubliées.
Comment avez procédé pour effectuer cette sélection ? Pourquoi ces femmes et pas d’autres ?
Les autres femmes dont vous parlez auront droit à leur biographie ! Nous n’avons pas fini notre travail… Nous avons d’abord essayé de rattraper un retard historique. Marie Durand est très connue. C’était presque obligatoire de lui consacrer un ouvrage même si elle n’est pas forcément la plus intéressante d’un point de vue théologique. A la même époque, on retrouve aussi la jeune bergère Isabeau Vincent, qui est l’une des figures les plus connues du mouvement protestant des « petits prophètes » en Dauphiné, Vivarais et Cévennes. On s’est également intéressé aux résistances contemporaines, aux femmes qui pendant la Seconde Guerre mondiale, ont eu un rôle particulier, fort, et souvent non-violent. Par exemple, d’Adélaïde Hautval (1906-1988), surnommée « Haïdi », jeune médecin déportée par les nazis et reconnue en 1965 « Juste parmi les nations ».
Et pourquoi avoir consacré un ouvrage à la génération Rosa Parks, ces militantes dans l’ombre de Martin Luther King ?
Comme vous le savez, le protestantisme dépasse les frontières de la France. On a donc cherché des femmes qui ont contribué à l’avancée sociale aussi en dehors de l’Hexagone comme Rosa Parks. Mais elle n’est pas la seule. D’autres militantes non-violente ont joué un rôle important. Celles-ci sont très engagées, ont des parcours intéressants et sont totalement inconnues du grand public français. Parmi elles, se trouve Pauli Murray (1910-1989). Cette activiste américaine des droits civiques et avocate a été à la fin de sa vie une porte-parole de la cause LGBT. C’est aussi la première femme afro-américaine à devenir évêque de l’église épiscopale !
Et à l’avenir ? Allez-vous prochainement publier d’autres biographies ?
Oui, tout à fait ! On va continuer à s’intéresser aux femmes historiques peu connues. Nous avons déjà sorti un ouvrage consacré à Catherine de Parthenay (1554-1631), héritière de la puissante famille huguenote poitevine, les Parthenay-Levêque, une femme de la Renaissance insoumise et résistante et très rebelle pour son époque. L’an prochain, on mettra en lumière Marguerite de Navarre (1527-1549), femme de lettres, au centre de la vie culturelle et spirituelle également de la Renaissance. Nous réfléchissons aussi à d’autres protestantes aux profils variés, des suffragettes, des résistantes, des bourgeoises humanitaires du XIXe siècle à l’instar de la fille du fondateur de l’Armée du salut.