Cet accent d’insolence qui traînait dans sa voix redoublait d’indécence le corps en mouvement, sublime action de liberté dans une société corsetée. Brigitte Bardot, qui vient de mourir à 91 ans, mieux que Tintin, fut la rivale internationale du Général de Gaulle. Ayant conquis le monde par un scandale, « Et Dieu créa la femme », tourné sous l’empire d’un diable d’homme, Roger Vadim, Brigitte Bardot disait préférer, de tous ses films, « La Vérité » d’Henri-Georges Clouzot – lequel, pourtant, lui flanqua des gifles pendant le tournage, en échange de quoi Samy Frey lui cassa la figure.
« Le Mépris », ou l’image de Bardot réinventée
Mais pour notre part, c’est « Le Mépris » qui demeure la référence absolue de sa carrière. En adaptant le roman de Moravia, Jean-Luc Godard n’a pas seulement voulu montrer que Brigitte Bardot pouvait se montrer digne d’une œuvre d’art. Il a renversé la représentation de la comédienne déjà légendaire. En plongeant cette étoile dans la mer Méditerranée, le cinéaste signifiait que sa beauté s’inscrivait dans une longue tradition, celle de l’antiquité grecque, la mère de notre civilisation ; en la projetant symboliquement dans un accident de voiture il se montrait iconoclaste. Et lorsque le producteur Carlo Ponti, considérant qu’il n’en avait pas pour son argent parce que Bardot n’apparaissait pas assez souvent nue, Jean-Luc Godard imagina la scène d’ouverture du film au cours de laquelle le personnage de Camille demande à son amoureux, qu’interprète Michel Piccoli, ce qu’il pense de son corps, entièrement dénudé.
Mise en abîme d’une actrice qui paraît s’adresser, au-delà du film en cours, au producteur autant qu’au public, un tel prologue vaut pour une contre-image incendiaire. A ce titre, on peut dire que Bardot fut, le temps d’un chef d’œuvre, une comédienne protestante.
