Troisième participation du cinéaste dissident russe à la compétition Cannoise, Kirill Serebrennikov présente, avec La femme de Tchaïkovski, un époustouflant portrait romanesque et tragique. Celui d’une femme pieuse, immensément amoureuse jusqu’à la plus grande des déraisons, prête à tout supporter, dans toutes les dimensions de son existence, pour espérer conserver près d’elle l’homme qui la fuit et la rejette.
Russie, 19ème siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et brillante, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte tourne à l’obsession et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour chercher à rester auprès de lui.
Kirill Serebrennikov est un grand habitué des festivals. La majorité de sa production a été présentée dans les principales grandes villes du cinéma de Berlin à Rome ou Venise en passant, bien sûr, par Cannes. Il est l’une des figures d’un cinéma en quête permanente d’une narration extrême et d’une mise en scène soignée pour des récits artistiques et politiques, comme par exemple en 2018 son magnifique Leto et cet univers rock en noir et blanc ou, dans un autre genre, plus métaphorique, sa fièvre de Petrov l’année passée, pour parler de son pays qui le rend littéralement malade… jusqu’au délire… jusqu’à ce que la réalité devienne l’air irrespirable d’un rêve fiévreux.
Cette année, avec La femme de Tchaïkovski, Serebrennikov n’use pas de cette même radicalité, mais il affiche tout de même une attitude et s’appuie sur des mécanismes qui sont clairement destinés à provoquer au moins un malaise. En d’autres termes, il s’agit d’une nouvelle torpille lancée directement sur la ligne de flottaison de l’esprit nationaliste de la Russie ; cette fois, sa charge passe par une forme d’irrévérence iconoclaste. Dans les mains du réalisateur, comme on pouvait s’y attendre, la figure de Tchaïkovski est utilisée pour casser un mythe et transformer le sentiment collectif de fierté en une indignité.
Serebrennikov peint l’histoire bouleversante d’une femme passionnée mais rejetée et humiliée. Sans doute trop naïve pour comprendre la réalité de la sexualité de son mari, peut-être trop fière pour s’en détacher, et probablement sans aucune alternative viable, elle est une malheureuse victime des circonstances faites d’homophobie et de misogynie.
C’est donc au-travers du regard d’Antonina Milioukova que se raconte une partie de la vie de Pyotr Ilyich Tchaikovsky, l’un des compositeurs les plus prolifiques du XIXème siècle, et dont la musique reste un incontournable et une influence internationale.
Tchaikovsky a épousé Antonina Miliukova pour cacher son homosexualité qui commençait à sérieusement ternir sa réputation et pour protéger les siens. Une union maritale, qui n’aurait duré effectivement que trois mois. Bien qu’il n’ait jamais obtenu de divorce légal, ils ne se sont jamais revus avant sa mort en 1893 et elle a passé ses derniers jours à l’asile avant de mourir en 1917. Porté par une très convaincante Alyona Mikhailova, qui pourrait tout à fait être récompensée dans ce rôle, et un véritable souffle romanesque et une réalisation brillante, La musique de Tchaikovski est un mélange paradoxal d’élégance et de sordide, qui hypnotise et repousse en même temps.
Réfutant tout sensationnalisme dans son film, le réalisateur russe a expliqué vouloir montrer en partie comment cette relation tumultueuse a été également source « d’inspiration de ses extraordinaires œuvres » et notamment de son opéra Eugène Onéguine. « Toutes les répliques sont inspirées de lettres ayant réellement existé », a-t-il également ajouté.