Ce drame fantastique nous entraîne dans les années 1970 et suit Jeanne, une adolescente de quinze ans qui s’échappe d’un orphelinat pour rejoindre la ville. Son errance la conduit dans un hangar qui, au matin, se révèle être un plateau de tournage : on y adapte La Reine des neiges. La star du film, Cristina, interprétée par Marion Cotillard, incarne la majestueuse et glaciale souveraine. Fascinée par elle, Jeanne devient sa protégée, mais la relation se transforme en piège. Ce qui semblait promesse d’évasion se mue en huis clos étouffant, entre admiration, manipulation et perte de repères.

Une esthétique envoûtante

Lucile Hadžihalilović déploie ici une esthétique envoûtante. Les miroirs, la glace, les lumières du studio composent un univers visuellement somptueux mais traversé d’inquiétude. Le cinéma, lieu de rêve et d’artifice, devient métaphore d’un palais de glace : splendide mais fragile, séduisant mais dangereux. Le récit prend alors des allures de conte inversé, où l’enfance ne trouve pas refuge dans le merveilleux mais affronte la violence des illusions. Les acteurs portent avec force cette matière. Marion Cotillard, à la fois diva charismatique et femme vulnérable, habite pleinement cette reine de glace, fascinante et inquiétante. Face à elle, Clara Pacini, révélation du film, incarne Jeanne avec une justesse rare : sa candeur, ses élans et ses blessures font de son personnage un miroir de nos propres fragilités adolescentes. August Diehl complète cette distribution avec intensité, ajoutant une touche d’ombre au récit.

La question de l’emprise et la mise en garde contre l’idolâtrie

À travers cette histoire, le film interroge l’emprise. Comment une jeune fille en quête d’identité peut-elle se perdre dans l’admiration d’une figure idéalisée ? Comment le regard posé sur l’autre peut-il nourrir ou enfermer ? En cela, La Tour de glace dialogue directement avec notre époque saturée d’images et d’idoles médiatiques.

L’adolescence, ce moment de bascule, devient le terrain d’un combat silencieux entre désir d’émancipation et besoin de modèles.

Telle une parabole du discernement, ce récit met en garde contre l’idolâtrie des images et rappelle l’importance de chercher la vérité derrière les masques. Il souligne aussi la nécessité de préserver l’intégrité de l’enfant, de l’accompagner dans sa quête d’identité plutôt que de l’abandonner aux mirages. La figure de Jeanne, fragile mais tenace, devient ainsi un appel à protéger ce moment de passage où se joue tant de choses.

Certains spectateurs trouveront peut-être le rythme exigeant, parfois énigmatique. Hadžihalilović ne cherche pas à livrer un récit linéaire ni à clore toutes les pistes. Elle préfère laisser au silence, à la contemplation, à la lenteur, le soin d’habiter le spectateur. C’est un cinéma qui demande de se laisser saisir, plus que de consommer une intrigue.

Avec La Tour de glace, Lucile Hadžihalilović poursuit un travail singulier sur l’enfance, l’initiation et le mystère. Le film fascine par sa beauté plastique et trouble par ce qu’il dit de l’image et de son pouvoir. Il nous laisse avec une question : comment grandir sans se perdre dans le miroir des autres ? C’est peut-être la grâce de ce cinéma de conte sombre : nous rappeler que la lumière ne vient pas de la glace scintillante, mais du feu fragile qui habite chacun.