Présenté en compétition officielle l’année passée au Festival international de Karlovy Vary, Loveable (Elskling) de la Norvégienne Lilja Ingolfsdottir y a créé l’événement. Récompensé à cinq reprises, notamment par le Prix spécial du Jury, le Prix d’interprétation féminine et le Prix FIPRESCI, le film a aussi reçu le très symbolique Prix du Jury œcuménique. Une distinction qui reconnaît les films promouvant des valeurs humaines, spirituelles et sociales fortes. Mais Loveable est bien plus qu’un film à message : c’est un miroir tendu vers chacun de nous, un voyage à la fois brut et délicat dans les interstices de la vie conjugale et de l’introspection personnelle. Il sort ce mercredi 18 juin sur nos écrans.
Maria, quadragénaire active, mère de quatre enfants, voit sa vie basculer lorsque son mari lui annonce brutalement qu’il veut divorcer. Ce coup de tonnerre ouvre une faille : au fil des jours, Maria affronte ses peurs enfouies, ses dépendances affectives et ses souvenirs d’enfance mal cicatrisés.
Un regard féminin sur les rouages de l’âme
Ce qui distingue Loveable, c’est son regard féminin assumé mais jamais militant. Il ne s’agit pas d’accuser, ni de dénoncer. Le film s’intéresse plutôt aux mécanismes invisibles qui traversent une femme qui s’écroule. Culpabilité maternelle, exigence de perfection, traces laissées par l’enfance : le scénario explore les couches successives de l’identité avec une grande finesse. Dans une société où la performance, y compris affective, est devenue un impératif, Loveable ose dire l’épuisement, le vertige de ne plus savoir qui l’on est quand l’autre s’en va. Mais il le fait sans pathos ni complaisance, dans un dialogue permanent entre intimité et humanité.
Le film choisit, en effet, de ne jamais dramatiser outre mesure. Tout est dans la retenue, la nuance, l’émotion contenue. C’est justement dans cette sobriété que naît une intensité rare. La performance de Helga Guren, tout en tensions intérieures et fragilités assumées, délivre une vérité de jeu à couper le souffle. La caméra de Lilja Ingolfsdottir, proche des visages, capte les silences, les gestes avortés, les larmes rentrées.
Une mise en scène épurée mais jamais froide, qui rappelle les plus belles pages du cinéma scandinave, de Bergman à Joachim Trier.
Dans une interview la réalisatrice se confie : « Si tu n’affrontes pas tes traumatismes d’enfance, tes relations s’en chargeront pour toi ». Cette phrase pourrait résumer l’esthétique du film : dépouillée, frontale, préférant la fissure au vernis. Les couloirs banals d’une maison deviennent les coulisses d’un examen de conscience très paulinien : « Que chacun s’éprouve soi-même »
Entre chute et relèvement
Il est intéressant d’observer ce qui pourrait ressembler à une touche spirituelle dans ce qu’il a de plus incarné. En suivant le chemin de Maria, c’est aussi un parcours de vérité, de lucide confrontation avec soi, qui se dessine. À Karlovy Vary, le Jury œcuménique ne s’y était pas trompé. Dans sa motivation, il avait salué « un chemin de crise conjugale qui devient itinéraire de responsabilité et de nouveau départ ». Voilà qui situe d’emblée la portée spirituelle du film : au-delà d’un drame familial, c’est encore la grâce possible qui traverse les fissures plutôt qu’elle ne contourne les fautes. Loveable montre que la chute n’est pas la fin, mais parfois le début d’une reconstruction.
Le film rejoint ici les grands récits bibliques où la vérité, le pardon et la responsabilité deviennent les jalons d’une nouvelle alliance. On pense à Osée et à son appel à la fidélité au-delà de l’échec, à l’épître aux Éphésiens sur l’amour qui se livre, ou encore à l’évangile de Luc où le retour vers soi est toujours le prélude d’un retour vers l’autre.
Dans le scénario de ce film, au cœur de sa douleur, Maria passe d’un discours d’auto-justification à une reconnaissance sans fard de ses parts d’ombre. C’est aussi la dynamique du sola gratia : admettre son incapacité à se sauver seule pour accueillir une grâce qui relève. Le film suggère clairement qu’un « nouveau départ » (quel qu’il soit) n’est possible qu’en revisitant les fondations : vérité, pardon, responsabilité partagée. L’espérance est ouverte : le film ne verrouille pas son couple dans le cynisme ; il laisse l’éventualité d’une résurrection relationnelle.
Un film-ressource
Bien qu’exigeant, le film se prête à des usages de discussion, de ciné-débat. Projeter Loveable dans cette perspective, c’est ouvrir la discussion sur le pardon, la fatigue conjugale, la reconstruction personnelle. Il peut nourrir des groupes de partage, des ateliers pour couples, ou simplement offrir un support de réflexion sur la manière dont l’Évangile peut nous rejoindre dans nos zones d’effondrement. Que l’on soit croyant ou non, chacun a vécu ces micro-trahisons du quotidien où l’on préfère blâmer l’autre plutôt que de se regarder en face.
Avec Loveable, Lilja Ingolfsdottir signe un film à la fois personnel et universel, intime et politique, douloureux et porteur d’espérance. Sans jamais forcer le trait, elle nous rappelle que l’amour ne se mesure pas à la durée, mais à la vérité qu’on accepte de lui offrir. Un film qui éclaire.