Besoin d’un petit ami cultivé pour impressionner votre entourage ? D’un fils parfait pour forcer l’admiration de vos clients ? D’un répétiteur pour vous préparer à une dispute conjugale ? Louez Matthias, un maître dans sa profession, excellant chaque jour à se faire passer pour une personne différente ! Mais quand Matthias doit être lui-même, le véritable défi commence…

Dès les premières scènes, Peacock déploie une satire cruelle mais étonnamment douce de notre époque : celle où l’identité devient une prestation, et l’authenticité un luxe presque naïf. On ne sait pas très bien s’il faut en rire ou en pleurer. Mais on comprend vite que Matthias n’est pas un cynique. Il ne triche pas par goût du mensonge. Il remplit un vide, le sien comme celui des autres.

Le paon et ses plumes

Le titre du film fait référence à l’animal majestueux dont la beauté tient à sa capacité à impressionner, à séduire, à déployer ses plumes. Mais ici, le paon est fatigué. Bernhard Wenger ne juge pas son personnage, il le regarde. Avec une infinie tendresse. Car ce qui pourrait n’être qu’un jeu cruel sur les faux-semblants devient peu à peu une réflexion profonde sur le vide intérieur que creuse la conformité.

Lorsque sa petite amie le quitte, incapable de percevoir qui il est « vraiment » c’est sa routine qui se fissure. Matthias perd alors pied. Il s’inscrit à un programme de développement personnel censé l’aider à « se retrouver ». Mais là encore, il reste pris au piège : il croise une femme, Ina, qu’il avait déjà rencontrée dans une précédente mission. La réalité se brouille, les rôles se superposent. Peut-on encore sortir du jeu ?

Le théâtre intérieur de l’identité

La grande force de Peacock, c’est de rester sur le fil entre satire sociale et drame existentiel. Le film, minimaliste dans sa mise en scène, fait penser à du Ruben Östlund (The Square, Sans filtre) ou à du Yorgos Lanthimos assagi : un cinéma qui ausculte l’humain dans ses contradictions les plus gênantes, mais sans l’écraser. Il y a de l’ironie, oui. Mais aussi une vraie tristesse. Une douleur silencieuse. Car ce qui se joue, ce n’est pas seulement une critique du monde marchand ou du paraître. C’est plus intime, plus universel : le besoin d’être aimé, reconnu, vu. Et cette peur panique qui nous pousse à nous modeler, à répondre aux attentes, à gommer ce qui pourrait déranger. Jusqu’à ne plus savoir qui l’on est.

Matthias n’est pas seul : il est l’image déformée de chacun de nous, tenté de s’adapter à tout prix, de plaire, de performer l’attachement. Le film nous renvoie à cette vérité dérangeante : nous jouons tous, plus ou moins consciemment. Mais jusqu’où cela nous engage-t-il ? Et que se passe-t-il lorsqu’on ne sait plus comment redevenir soi ?

Vérité et identité

Peacock est un film qui interroge le rapport entre vérité intérieure et image sociale, entre ce que nous sommes appelés à être et ce que nous montrons.

La tradition biblique, notamment dans la pensée de Paul ou des Réformateurs, insiste sur l’identité reçue, et non construite.

L’humain n’est pas un masque qu’il choisit, mais un être appelé par un Autre, créé à l’image de Dieu, et libéré de devoir se fabriquer lui-même. Or Matthias est exactement dans la situation inverse : il est ce qu’on attend qu’il soit. Il devient une somme d’attentes extérieures. Son parcours douloureux évoque celui du « vieil homme » paulinien, pris dans des logiques de justification par les œuvres que l’on pourrait positionner, ici, dans les rôles bien joués, qui le laissent néanmoins vide.

Mais le film ne ferme pas la porte à une forme de libération. Il ne propose pas de solution magique, mais ouvre un espace de conscience : peut-on encore choisir d’être soi, même si cela coûte l’amour des autres ? Peut-on renoncer aux apparences sans perdre toute relation ? C’est aussi, en creux, une parabole de la conversion : non pas un changement spectaculaire, mais un pas vers la vérité, un dépouillement, une résistance silencieuse à la séduction des faux visages.

Une œuvre première, déjà marquante

Pour un premier long-métrage, Peacock impressionne par sa maîtrise formelle, son écriture elliptique et son humour discret mais percutant. Albrecht Schuch, dans le rôle principal, est saisissant de précision. Jamais démonstratif, toujours juste, il fait de Matthias un personnage universel, immédiatement attachant. Ce cinéma-là ne donne pas de leçon en évitant les facilités morales : il ne fustige pas, ne glorifie pas. Il observe. Il laisse au spectateur le soin de se reconnaître, de s’interroger, de décider.