La musique de film a ceci de singulier qu’elle entraîne le public au-delà des images. A la semblance d’une chanson populaire, elle déploie son charme en toute indépendance et, bien après que se sont éteints les lampions du cinéma, fait renaître une époque. Aussi bien, dans le cœur et l’esprit de ceux qui l’écoutent, se mêle au visage des comédiens, l’action des protagonistes, mille reflets d’un temps révolu : tout à la fois la mode, une façon de se déplacer, de se comporter dans l’existence, la vie politique et sociale d’un pays, les aventures individuelles – amours et deuils associés. Voilà pourquoi chaque génération porte en elle des œuvres décisives, ordinaires en apparence, essentielles à son imaginaire. Alain Delon, c’était aussi de la musique.  

Le 12 avril 1967, quand sort « Les Aventuriers », François de Roubaix n’est encore que le fils d’un producteur ami du réalisateur Robert Enrico. Mais il est déjà l’un des mélodistes le plus doués de sa génération, capable de capter la mélancolie dans les filets d’une modulation. Sa jeunesse et son inventivité correspondent à l’optimisme du temps : guitares et piano changent de sonorités, le progrès se conjugue avec la liberté. Compositeur autodidacte, « à l’instinct » comme on dit, François de Roubaix deviendra l’un des amis professionnels d’Alain Delon.

Deux ans, cela peut-être tout un monde. Au mois de janvier 1969, « La Piscine » incarne une sensualité qui s’affiche sans entrave. Michel Legrand gravit les marches de la gloire. Il va recevoir un premier oscar à Hollywood et mène déjà la vie d’une étoile. En compagnie de sa sœur Christiane et du violoniste Stéphane Grappelli, le compositeur invente une musique aussi coquine que câline, belle et chaude. Mais sage. Une partition de jazz, oui, mais qui traduit l’adaptation d’une société conservatrice aux changements du monde. Sous les pavés, la plage reste à sa place.

Le 5 avril 2000, quand sort le film de Bertrand Blier, Delon vit déjà parmi ses fantômes. Il n’est plus depuis vingt ans que l’ombre de son ombre, se consume, court après sa propre légende. En jazzman inspiré par les dissonances contemporaines, Martial Solal construit pour la séquence de nuit dont le comédien est le joyau, cette balade, hésitante comme un oiseau blessé. Bach et Mendelssohn auraient fait mauvais genre.