Dans la lignée de Mare of Easttown, dont il fut déjà l’artisan, Brad Ingelsby retrouve avec Task sa Pennsylvanie natale pour y creuser, plus que jamais, les veines mêlées du crime, de la foi et de la culpabilité. Ce décor ouvrier, gris et pesant, devient le miroir d’une humanité fatiguée, d’un monde où chaque geste semble dicté par la nécessité autant que par la faute.
L’histoire suit deux hommes que tout oppose : Tom Brandis, agent du FBI autrefois prêtre, et Robbie Prendergrast, père de famille engagé dans une série de braquages de dealers. L’un traque, l’autre se cache. Mais très vite, le récit renverse les perspectives : le chasseur et le fugitif se reflètent l’un dans l’autre. L’ancien prêtre a perdu la foi, le voleur agit par amour des siens. Dans ce face-à-face silencieux, Task déploie un jeu d’échos troublants où la morale chancelle. Les certitudes se dissolvent, et le spectateur se retrouve, lui aussi, à douter.

Mark Ruffalo (Zodiac, Shutter Island, les films Marvel), bouleversant dans le rôle de Brandis, cet homme rongé par l’alcool et hanté par une tragédie familiale, donne chair à cette tension intérieure. Sa performance est un sans-faute. Mais, face à lui, Tom Pelphrey (Banshee, Ozark) est encore plus impressionnant. Il incarne la dignité désespérée d’un homme qui croit pouvoir réparer le monde en le défiant. Entre eux, la mise en scène tisse le fil fragile d’une justice humaine qui s’effondre quand elle perd sa dimension spirituelle. La série s’avance lentement, sans jamais céder au spectaculaire. Son rythme volontairement pesé laisse le temps aux visages de parler, aux silences de se charger de sens. Dans cette lenteur se loge une beauté rude, celle des vies ordinaires qu’on n’écoute plus.
Justice et miséricorde
Ce qui frappe surtout, c’est la manière dont Task ose relier le drame policier à une réflexion morale. Chaque épisode semble demander ce que vaut la justice, si elle oublie la miséricorde. Et que vaut la foi, si elle ne s’incarne pas dans les fractures du réel ? Brandis, tiraillé entre son passé de prêtre et sa mission d’enquêteur, devient l’emblème de cette tension. Il cherche la vérité, mais c’est lui-même qu’il juge à travers les autres.
La dimension spirituelle traverse ainsi constamment le récit. Cet homme porte en lui l’effondrement d’un monde intérieur. Sa foi n’est plus une source, mais un désert où l’idée même de rédemption semble définitivement perdue.
C’est dans cette brèche intime que le film trouve sa justesse, en révélant la vulnérabilité des consciences et la tension entre deux hommes que tout oppose, mais qui deviennent l’un pour l’autre un miroir impitoyable.
Humanité cabossée et dignité
Brad Ingelsby, fidèle à son univers, filme les hommes dans leur lutte pour la dignité. Il ne distribue ni bons ni mauvais rôles, mais expose la fatigue morale d’une Amérique déclassée, où le salut ne vient plus d’en haut mais du courage obstiné de continuer. C’est cette humanité cabossée, cette foi nue au bord du gouffre, qui font de Task une œuvre bouleversante. Série de la perte et du pardon, elle s’adresse à ceux qui croient encore que la grâce peut surgir des ténèbres. Elle ne délivre pas de réponse mais le vertige d’un monde où le mal ne s’explique plus, où la justice se heurte à la compassion.
Sombre, dense, habitée, Task n’est pas une série à consommer distraitement. Elle exige qu’on s’y arrête, qu’on l’écoute respirer. Mais pour qui s’y abandonne, elle révèle une vérité rare. Celle que la foi, même perdue, continue d’agir au cœur de ceux qui doutent.
