Nous serons sobres – et le premier qui déclare : « Ah, ça va nous changer », nous lui enverrons les sicaires de Joseph Fouché. Sobres, donc. Non par inclination, mais par lucidité : plus de livres ont été publiés sur Napoléon qu’il ne s’est écoulé de jours depuis sa mort, écrits par les plus grands écrivains, les meilleurs historiens. Cela vous impose la modestie, la discrétion. Sobres aussi parce qu’il faut bien reconnaître que l’Empereur ne peut guère passer pour un modèle aux yeux des protestants : le type qui ne se reconnaît pas d’autres concurrents que Jules César et Alexandre a peu de chances de convaincre en Alsace ou dans les Cévennes. Et pourtant…

Trois ouvrages ont sonné l’heure des hommages, à la fin de l’année dernière.

En premier lieu, citons « L’Europe au temps de Napoléon », dirigé par Jean Tulard (Le Cerf, 638 p. 29 €) qui permet de découvrir à quel point notre continent fut modifié par le passage de l’Aigle, et pas seulement celui de ses armées. Les batailles ont engendré mille réactions politiques, mais aussi mille réponses culturelles ou sociales, influencé les peuples, fait naître en eux le désir de liberté.

Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, propose un « Dictionnaire historique » (Perrin 996 p. 29 €) portrait mosaïque éblouissant. Tous les sujets s’y trouvent traités sous la forme de chapitres thématiques, précis, rédigés dans un style aussi vif que rigoureux. L’industrie, Fesch, Aboukir, homosexualité, Westphalie… la variété des sujets, c’est le moins que l’on puisse dire, est extrême. Une très grande réussite.

On aime enfin « Napoléon, la certitude et l’ambition » de Charles-Éloi Vial (Perrin/ BNF, 255 p. 24 €). Richement illustré, cet ouvrage retrace le parcours de gloire, mais souligne surtout les fragilités de son personnage principal. Évoquant le bicentenaire qui se prépare, cet historien nous déclare : « L’occasion est unique de proposer au grand public une nouvelle vision de la période impériale, éloignée du mythe et de ses exagérations, notamment grâce à l’étude attentive des archives et aux documents inédits publiés ces dernières années. L’Histoire ne se répète jamais, elle est une formation à l’esprit critique et un bon moyen de découvrir la complexité des caractères humains, mais il se trouve que de manière involontaire ou inconsciente, les historiens actuels travaillent beaucoup sur la crise économique, politique et sociale de la fin de l’Empire, ainsi que sur les erreurs et les failles de Napoléon lui-même, ce qui semble faire écho aux préoccupations du lectorat. »

Depuis 1969, année de célébration de la naissance de Bonaparte, événement dont Jean Tulard – tout jeune encore- avait été le maître d’œuvre, les savants n’ont cessé d’explorer les arcanes de cette épopée. La pandémie jettera-t-elle son ombre sur l’anniversaire ? « Avec un peu de chance, le flot de publications napoléoniennes permettra d’alimenter de manière utile la réflexion sur la crise actuelle, estime Charles-Éloi Vial. Peut-être aussi que la perspective de visiter de grandes expositions, de revoir ou de découvrir des grandes œuvres, de découvrir de beaux livres, jouera un rôle positif sur le moral du public, après les longs mois de fermeture des musées, et que le coup de projecteur médiatique des commémorations contribuera à mieux faire connaître Napoléon, qui demeure un des personnages le plus fascinant de l’Histoire de France et qui le mérite largement. Peut-être même que les festivités permettront de faire naître de nouvelles vocations d’historiens. »

Voici quelques semaines, Thierry Lentz nous a révélé qu’enfant, sa vocation s’était affermie grâce aux médailles commémoratives qu’offrait un réseau de vente d’essence. Il ne faut donc jamais négliger les petits ruisseaux, même commerciaux, de la mémoire. Ultime conseil, ne manquez pas le petit chef d’œuvre de Jean Mendelson, « Sainte Hélène 2015 » (Portaparole 128 p. 18€). Les libraires seront heureux de vous le commander, vous aurez plus que du plaisir à le dévorer.

Nous entendons déjà la colère et la critique : « une page et demie sur un ogre mangeur d’hommes, un misogyne interdisant à Germaine de Staël de s’approcher de Paris, sa ville natale, c’est beaucoup trop ! »

Soit. Mais alors, à l’approche du week-end, on vous prévient qu’un autre sujet nous brûle. Oh, bien sûr, il semble secondaire à certains parce que ceux-ci n’en voient que les éclats de surface, mais il est essentiel, comme l’eau, l’air, le feu, parce qu’il permet de faire vibrer la transcendance: il s’agit des conditions d’existence des artistes.

Nous lui consacrerons bientôt la place et le temps nécessaires. Plutôt que l’évoquer comme à la dérobée, nous saisissons l’une de ces vidéos que l’on trouve depuis des mois sur la toile. Une pianiste protestante, Anne-Lise Gastaldi, l’a conçue voici quelques jours. Elle exprime avec humour et talent ce que nombre de musiciens, de comédiens, ressentent. Écoutez-la, regardez-la : c’est un délice…