Cheveux blonds retenus sous un béret rouge, œil plissé, puis demi-sourire aux lèvres, Ulla se laisse découvrir derrière son écran d’ordinateur au fur et à mesure qu’on vient à elle. C’est tout un symbole. Car chez cette femme nordique à la solidité ancrée dans le concret, une part échappera toujours à la vue ou à l’analyse, comme une sensibilité enfouie.
Une vie pour l’art
Si la banlieue de Stockholm l’a vue naître et grandir, c’est à peine majeure qu’Ulla découvre Paris en tant que jeune fille au pair. Ce n’était pas prévu, mais elle y restera, s’y mariera, y vivra comme femme, mère et artiste. Car un court instant l’a retenue en France, un petit test à l’École des Beaux-Arts. Elle y sera reçue et apprendra là les bases académiques pour exprimer cette sensibilité qui la guide. Après le dessin et la peinture qu’elle pratique déjà, son avenir semble alors se tracer dans la maîtrise de la sculpture. Mais elle découvre aussi une division de l’art contemporain qu’on appelle « l’installation », cette capacité à assembler des œuvres de différentes natures pour générer du sens et modifier la perception de l’espace. Structures, matériaux, peintures, photos, l’artiste se lance dans un travail plus expérimental et ne quittera plus cette « installation » qui lui sied bien.
Depuis quelque temps, Ulla travaille le textile qu’elle rehausse par la linogravure. Guidé par sa spiritualité, son art sensoriel pousse à réagir. « Je ne raconte pas une histoire », analyse-t-elle, « mais lors des expositions, les visiteurs partagent leurs émotions, leur spiritualité, c’est touchant ».
Structurer l’espace
« J’ai fait plein de boulots », se rappelle Ulla, « et j’ai eu besoin de me fixer sur un métier en lien avec la composition ». Ce fut la mise en page. La typographie, la qualité des images et les volumes rappellent l’organisation stricte et la créativité de ses œuvres. Car « composer » demande une extrême rigueur pour être fidèle à son ressenti et permet une infinie liberté créatrice. Peut-être est-ce par cette tension entre un cadre et une liberté qu’Ulla exprime une part de sa sensibilité, lorsque la créativité se trouve comme comprimée. La mise en page lui offre ce contraste par le cadre strict de la charte graphique d’un journal et la liberté qu’elle permet.
L’autre dimension du lecteur
Pour cette artiste qui travaille à temps partiel pour continuer la recherche et ses expositions, la mise en page et le graphisme permettent aussi de relier deux visions complémentaires. L’émotion de l’artiste doit rejoindre l’aspiration du lecteur. « La rencontre se fait quand l’espace et les couleurs reflètent du beau, c’est-à-dire une alliance de l’esthétique, d’une qualité ordonnée et d’une forme de sobriété », témoigne Ulla. Il s’agit en quelque sorte d’élégance, les grandes revues étant souvent sobres et lisibles ; la mise en page ne doit jamais gêner le sens mais révéler le sujet d’une photo ou d’un article en le soulignant sans que cela se remarque.
Sérieux et décalé
À La Voix protestante, « la charte canalise et cadre la graphiste », sourit Ulla. « La composition va capter le regard, cela obéit à des règles très sérieuses. Et en même temps j’ai besoin de sortir du cadre pour donner un peu d’énergie ou un aspect ludique ». Une sorte de transgression ? Un compromis plutôt, entre le foisonnement des sensations et des émotions qui l’animent et la nécessaire lisibilité. « Parce que c’est très sérieux, le spirituel », reprend-elle en riant.