Rien n’est solide comme ce cliché suivant lequel tous les protestants sont les parangons du libéralisme. On sait bien le soupçon que cette idée reçue véhicule: attachés de manière légère à l’État, les protestants ne seraient-ils pas de mauvais Français ?

Le remarquable livre qu’Arnaud Teyssier publie ce mois- ci, « L’énigme Pompidou-de Gaulle » (Perrin 368 p. 23€) n’a pas pour seule vertu de remettre à l’heure un certain nombre de pendules, démontrant notamment que le plus conservateur, au sein de cet improbable couple politique, n’était pas le grand lecteur de Barrès. Il trace en filigrane le portrait d’un protestant : Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères de 1958 à 1968, Premier ministre de 1968 à 1969.

« Pour de Gaulle, Maurice Couve de Murville faisait partie des hauts fonctionnaires d’élite, qui formaient l’armature de l’État, donc de la République, estime Arnaud Teyssier. Le Général avait un goût très fort pour l’administration, tout particulièrement l’inspection des finances dont notre homme était issu et qui avait la réputation de former les meilleurs hauts fonctionnaires. »

Maurice Couve de Murville comptait pourtant parmi les gaullistes tardifs : il avait en effet exercé de très hautes responsabilités au sein du régime de Vichy- directeur du mouvement général des fonds, c’est lui qui avait négocié les principales questions financières avec les autorités d’Occupation- puis il avait été proche du général Giraud à Alger. Mais ce qui primait pour de Gaulle était son souci de placer la France au premier rang, sa loyauté à son égard, et son efficacité.

Un homme loyal

« Dans ses Mémoires d’espoir, de Gaulle en dresse le portrait d’un haut fonctionnaire d’excellence en écrivant qu’il démêle ce qui est compliqué pour en tirer les éléments fondamentaux qui vont servir à la décision politique, en le présentant comme un grand travailleur apportant beaucoup à l’autorité de l’Etat, souligne encore Arnaud Teyssier. C’est pour cette raison majeure qu’il a choisi cet homme là et pas un autre quand il a voulu mettre en œuvre la réforme régionale et la participation, il l’a choisi pour Premier ministre. »

Nous voilà au cœur de l’originalité de la situation politique de Couve de Murville. Au fil de son récit, Arnaud Teyssier reconnaît que Georges Pompidou assumait son goût pour le progrès, la  modernité, le progrès social même, en ce qu’il découlait, selon lui, presque naturellement de la croissance. « Mais de Gaulle avait une vision beaucoup plus novatrice, nous précise l’historien. Ce que de Gaulle appelait la Participation était une politique sociale beaucoup plus active, entraînant une révolution du statut du salarié dans les sociétés capitalistes, dont il pressentait que les transformations profondes. »

C’est donc à un protestant grand teint que le fondateur de la Cinquième république a demandé d’associer les travailleurs au fonctionnement, à la direction des entreprises. Il savait bien que ce  n’était pas un keynésien dans l’âme, mais ce n’était pas le plus important. « Je crois que de Gaulle voyait en lui l’homme loyal, qui comprenait ce qu’il disait, ce qu’il faisait, qui était surtout capable de le traduire en acte, ajoute Arnaud Teyssier. Pour lui, Maurice Couve de Murville était capable, en toute circonstance, de tenir la barque de l’État. Sous cet angle, il était un personnage gaullien. Peu importe son passé, c’était un protestant d’État. »

On ne convaincra jamais les malveillants. Mais on conseillera la lecture, très complémentaire, des Mémoires de Robert Coulondre («De Staline à Hitler» Perrin 379 p. 23 €), qui fut ambassadeur de France à Moscou puis à Berlin. Grande figure du Quai d’Orsay, cet homme intègre, né en 1885 et mort en 1959, n’a cessé d’alerter les pouvoirs publics sur le péril nazi, encourageant à toute force le rapprochement diplomatique avec l’URSS alors qu’il n’était vraiment pas communiste. Un témoignage formidable, écrit par un haut fonctionnaire. On ajoutera, sans rien qui pèse ou qui pose, qu’il avait vu le jour à Nîmes et qu’il était protestant.