Cet essai est donc particulièrement utile pour décrypter ce qui s’est joué ces dernières années et ce qui pourrait se perpétuer et se durcir.

Les deux auteurs – Sophie Landrin et Guillaume Delacroix – sont journalistes pour la presse française et vivent sur place depuis plusieurs années. C’est autour de la figure de Narendra Modi qu’ils décrivent l’évolution préoccupante de ce qu’on continue à présenter comme la plus grande démocratie du monde.

Né en 1950 dans le Gujarat, Narendra Modi se met rapidement au service du RSS (« association des volontaires de la nation »), mouvement qui veut asseoir la domination des hindous sur la nation indienne laïque, à l’origine de BJP, le parti aujourd’hui au pouvoir.

Les auteurs décrivent la « pieuvre nationaliste » auquel est affilié le RSS, son idéologie radicale et violente, sa volonté de faire des musulmans des citoyens de seconde zone. C’est dans ce milieu que Modi progresse dans la hiérarchie, jusqu’à devenir dirigeant du Gujarat en 2001. C’est dans cet État que des pogroms antimusulmans font des milliers de victimes en 2002, sans que les dirigeants interviennent, voire à leur instigation.

Les auteurs montrent aussi dans un chapitre très intéressant comment Modi se présente comme faisant partie d’une caste inférieure, dans une Inde toujours fracturée par le système des castes. Sa situation permet de ne pas mettre en cause le système, et en stigmatisant – au nom de l’hindutva – les musulmans et les chrétiens de perpétuer un système qui profite d’abord aux castes « supérieures ».

Les raisons du succès de Modi proviendraient de sa mise en spectacle de ses relations internationales, de son charisme d’orateur, de fabricant d’un récit politique qui magnifie l’histoire de l’Inde avant les occupations musulmanes et britanniques, mais aussi de sa capacité à faire avancer des programmes sociaux longtemps enlisés. Les auteurs décrivent les relations entretenues par Narendra Modi avec les milieux économiques dirigeants, la riche diaspora indienne, et les modalités de financement du BJP, sans oublier les questions autour de la commande de Rafales par l’État indien. Enfin ils s’attachent à la personnalité du « solitaire narcissique » qui refuse les relations avec la presse, communique par Twitter avec ses 94 millions d’abonnés, et transforme New Delhi à sa gloire.

Dans un autre chapitre, c’est le gouvernement par la peur qui est mis en évidence : attaque contre les journalistes, utilisation de la justice contre les opposants politiques et les ONG, volonté de prise en main des institutions comme la Cour suprême ou la Commission électorale. […]