Cristina (Ioana Bugarin), une novice de 19 ans, quitte en cachette son monastère pour régler une affaire urgente en ville. Le soir même, sur le chemin du retour, son destin bascule. Marius (Emanuel Parvu), l’inspecteur de police en charge de l’enquête, est déterminé à résoudre l’énigme par tous les moyens, mais l’affaire tourne vite à l’obsession.

Dédales a la particularité scénaristique de reposer autant sur des hypothèses que sur la vérité. C’est d’ailleurs avec une image floutée d’une jeune femme en pleurs que tout commence. Un flou qui fait sens et dit en lui-même une atmosphère globale, qui va bien au-delà d’un effet technique et se prolonge jusqu’à la toute fin dans la compréhension (voire l’incompréhension) des choses. Mais c’est précisément là que Dédales est fabuleusement intéressant. Il exerce la patience du spectateur, le force à observer, à se laisser prendre aux pièges du récit et de l’enquête, à réagir émotionnellement aux faits et à prendre aussi du recul sur les événements et les personnages.

La technique de narration d’Apetri est intrigante, non seulement parce que la réalité de ces personnages et l’ensemble de l’histoire s’apparentent à un puzzle, mais aussi parce que les mauvaises pièces de ce puzzle créent une réalité secondaire. La vérité forme en quelque sorte le véritable puzzle, mais d’autres images nous donnent une idée des secrets que détiennent ces personnages – et de la part de vérité que ces fausses impressions révèlent indirectement.

Avec une brillante photographie, une réalisation fine et audacieuse, sans oublier évidemment les interprétations tout à fait remarquables de Ioana Bugarin, qui est magnifique dans ce rôle éprouvant, et sur celle de Emanuel Parvu, formidable en inspecteur cherchant à connaître la vérité, le film s’articule autour de deux magnifiques séquences lentes et circulaires.

La première se situe vers le milieu et joue le rôle de basculement entre deux actes qui constituent l’histoire, et l’autre intervenant à la fin. Chacune d’entre elles réinitialise le récit. Elles sont réalisées avec une précision incroyable, tout en étant riches en incidents et en significations. En distinguant ces moments visuellement, Apetri nous fait sortir du quotidien pour nous faire entrer dans un espace psychologiquement plus volatile, un espace dans lequel des actions impulsives peuvent avoir des effets bouleversants.

Ce n’est pas un hasard si les deux scènes se déroulent en extérieur, dans un espace donc plus libre qui contraste avec les espaces forcément davantage étroits et par là-même réglementés du couvent, de l’hôpital ou même des rues de la ville. Dans les champs, sous le regard des moutons qui regardent tranquillement, à l’image d’un Dieu qui observerait de loin, les hommes doivent apprendre à maîtriser leur propre nature, sous peine de détruire les autres et de se détruire eux-mêmes.

Si je mentionne Dieu à cet instant, c’est que le film est empreint de questionnements spirituels, très préoccupé par les questions morales et le danger pour l’âme, sans toutefois, à aucun moment, s’engouffrer pleinement sur le plan religieux même si l’environnement pourrait le permettre.

Il y a aussi beaucoup de sous-entendu sur la culpabilité masculine notamment, et la façon dont les hommes et les femmes s’efforcent de gérer les limites qui maintiennent un comportement civilisé.

C’est un voyage ancré dans les questions de foi, de destin et de mortalité, en offrant des révélations comme des gouttes lentes coulant d’un robinet, jusqu’à une conclusion stupéfiante qui synthétise tous les ingrédients narratifs du film.

Dès le début, Dédales est empreint de tension. Apetri la fait monter lentement, habilement, sans jamais en faire trop. Ce n’est ainsi que dans les derniers instants que le spectateur pourra respirer librement mais continuer à s’interroger en quittant la salle.

Un film réalisé avec soin, complexe et précis dans son exécution, qui demande certainement de la patience, mais qui offre un résultat absolument fascinant.

S’il doit être en premier lieu découvert (et il vaut largement le temps que vous lui consacrerez), il se peut que l’envie d’y retourner, de s’y frotter à nouveau et de le redécouvrir jaillisse plus tard en vous…