Par Jérôme Cottin, professeur de théologie pratique à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg.

Formulée ainsi, la réponse à la question posée ne peut être que non. Le Dieu de la révélation biblique n’est présent dans aucun objet (d’art), aucune personne, aucun élément de la nature. Parce qu’il est le Tout Autre, la présence de Dieu ne peut être contenue dans aucune forme, fut-elle la plus belle et la plus spirituelle possible.

La tradition chrétienne a pourtant trouvé deux objections majeures à l’argument de l’invisibilité et l’immatérialité de Dieu. L’incarnation : Dieu est devenu homme en Jésus-Christ, donc Dieu s’est fait corps, chair. Et plus tardivement, l’icône : on peut faire une image plastique du Christ, puisque lui-même est image de Dieu.

Mais ces deux objections restent insuffisantes, pour la tradition protestante du moins. L’incarnation ne change rien à cette conviction fondamentale : certes Dieu s’est incarné en Jésus-Christ ; mais d’une part cette visibilité du Christ a cessé après l’âge apostolique, d’autre part rien ne nous dit que Jésus était particulièrement beau (la Bible ne nous dit rien de son apparence physique) et surtout, une image de Jésus n’est pas Jésus. Malgré ce que pense la théologie orthodoxe, il n’y a aucun rapport entre Jésus et une image plastique de lui. On pourrait même dire que toutes les images de Jésus qui nous laissent croire qu’il s’agit du « vrai Jésus » sont trompeuses, et plus encore si elles veulent être belles. Ce ne sont que des interprétations, souvent portées par des traditions non bibliques (par exemple les images de Jésus blond aux yeux bleus).

L’art peut parler de Dieu

Mais si l’on se demande si l’art peut témoigner d’une présence de Dieu (dans l’Eglise, dans le cœur du croyant, dans le monde), alors la réponse peut tout à fait être oui.

L’art est constitué de formes, de volumes, de manières, de couleurs. Par ses capacités plastiques, il nous situe d’emblée dans le domaine de la matière, du créé, du réel. Il parle ainsi à notre corps, à nos sens, à nos émotions. Il nous rappelle – comme le fait le langage biblique – que la parole de Dieu est plus qu’un phénomène acoustique, que le mot n’est pas qu’un signe linguistique, que l’incarnation est plus qu’un concept et que la résurrection n’est pas une idée consolatrice, mais bien la réalité d’un corps qui, de mort qu’il était, est redevenu vivant. Un corps de chair.

L’art peut être une manière de renvoyer à l’incarnation de la Parole de Dieu, et cela avant même la venue du Christ. La parole de Dieu est créatrice, elle a créé le monde. Ce Dieu invisible a parlé parfois aux humains par des signes visibles. Les premiers de ces signes sont les sacrements du baptême et de la Cène. Mais il y a bien d’autres signes par lesquels Dieu a parlé aux humains : des signes cosmiques (l’art en ciel, les étoiles dans le ciel), plastiques (les taureaux de Bethel) et même miraculeux (le serpent d’airain). Jésus parlait en images (paraboles), guérissait des malades en touchant des corps ; il a dessiné sur le sable avant de pardonner à la femme adultère. Certes ces faits et gestes ne sont pas des œuvres d’art, mais ce sont plus que de simples paroles, ce sont des gestes qui nous touchent, qui traversent la matière (surtout humaine). On comprend qu’ils aient donné lieu à de multiples traditions artistiques.

Enfin, une œuvre d’art (même si elle n’a pas de sujet biblique) peut évoquer la présence de Dieu dans l’histoire, dans notre histoire, dans notre culture. La Parole de Dieu, avant d’être  « éternelle », est historiquement située. Elle intervient toujours dans une histoire et un contexte particuliers. L’art peut ainsi nous rendre attentifs à l’actualité de la parole de Dieu, à sa puissance d’interpellation, à son message aujourd’hui pour nous.