Laissez dormir le rose bonbon, le bleu turquoise et le jaune horrible aux étagères des « hyper » – il y a des jours où la nausée vous prend, de songer que l’esthétique aujourd’hui se résume à ces couleurs dans un si grand nombre de commerces. Oubliez ces sourires factices qui dominent la planète – à vomir, aussi, les casquettes, les fanions, les manèges qui vendent un Moyen-âge en plastique. Ouvrez plutôt le nouveau livre d’Olivier Cotte, « Walt Disney, l’homme qui rêvait d’être un enfant » (Perrin, 416 p. 24 €) biographie remarquable d’un aventurier du septième art.
Le saviez-vous ? L’illustre créateur de Mickey serait le descendant d’un ami de Guillaume le conquérant, seigneur d’Isigny-sur-Mer. On l’avoue volontiers, cette origine a plus fière allure que celle d’un pauvre gueux. Mais Olivier Cotte, qui a suivi cette piste avec sérieux, considère que la famille avait à voir avec le Normand vainqueur de la bataille d’Hastings : « Quelques siècles plus tard, pendant la restauration des Stuart (1600-1688), écrit-il, une branche de la famille s’installe en Irlande, dans le comté de Kilkenny. Mais il faudra encore quelques générations pour que des descendants émigrent vers le Nouveau Monde. C’est au XIXe siècle qu’Arundel Elias Disney (1801-1880) et son frère Robert quittent Liverpool avec leurs familles respectives. Ils débarquent à New York le 3 octobre 1834, après un mois de traversée. » Comme on le devine, cette famille est très pauvre. Elias, le père de Walt, fait partie d’une tribu de onze enfants, chacun partant chercher fortune comme il peut, dur au mal et la castagne facile, déménagements multiples et tentatives d’entreprises. On flirte avec le cliché, mais qu’y pouvons-nous si l’aventure américaine s’est écrite ainsi ?
Des parents très croyants et pratiquants
C’est à Chicago que les parents Disney se sont rencontrés. Ils vivent parmi des immigrants – écossais, scandinave, allemands. « Elias et Flora sont très croyants et pratiquants, souligne Olivier Cotte. Le père de famille est d’ailleurs particulièrement strict vis-à-vis de lui-même, des autres et de la morale. » Catholique ? Pas du tout ! « Le couple est en contact étroit avec l’Eglise Congrégationaliste Saint-Paul et se lie d’amitié avec son pasteur, Walter Parr ». A cet instant vous devinez tout : oui, les parents promettent au pasteur que si leur prochain enfant est un garçon, il portera son prénom. Le 5 décembre 1901 naissait Walter Elias Disney. Son frère aîné, Roy, veille sur lui de façon très tendre. Mais les revers, on n’ose pas écrire de fortune, oblige les Disney à partir pour la campagne. A Marceline, dans le Missouri, Walt découvre la succession sensuelle des saisons, les animaux pour de vrai, pas dans des cages, enfin respire le grand large que, de toute éternité l’être humain poursuit comme un rêve et qu’il nomme liberté.
Le retour à la ville est cruel et provoque une idéalisation de la nature dans le cœur et l’esprit de Walt Disney. Faire danser les oiseaux, les ours et les biches sera pour lui beaucoup plus qu’une simple intuition d’artiste : un retour à l’essence de sa vie. Mais pour l’instant, c’est un élève médiocre. Il se cherche, exerce mille petits boulots pénibles et souffre. Sauf en dessin.
La suite ? Eh bien non. La suite ne s’écrit pas en lettre d’or. Pour comprendre le succès de Disney, nous devons impérativement nous méfier de la téléologie. Rien n’était écrit, tout était à faire. Les premiers dessins animés n’ont recueilli qu’un vague haussement d’épaules. A tous ils semblaient des ébauches, des tentatives de fête foraine. Mais n’était-ce pas le cas, déjà des premiers films des Frères Lumière ? Avec acharnement, travailleur comme il en existe peu, Walt, épaulé par son frère qui tenait les finances avec une férocité formidable, est parvenu à ses fins.
C’est en 1928 qu’il a réalisé « Steamboat Willie », première bobine où apparaît Mickey – lequel devait s’appeler Mortimer, mais nous vous laissons découvrir pourquoi l’histoire en décida tout autrement. « Le succès de Steamboat Willie achève de convaincre Disney que le public ne s’intéresse véritablement à l’animation que lorsque les films sont bâtis sur une trame dramatique et que leur approche est suffisamment crédible, explique Olivier Cotte. Les nouveaux films de Walt prouvent que l’animation est en mesure de susciter de l’émotion à l’écran, pour peu que l’ensemble des moyens dramatiques soient mis en œuvre. » De là vient le souci constant du créateur de jouer des sentiments sérieux plutôt que de l’humour.
Au succès mondial de Blanche Neige succèdent des échecs aussi retentissants
Disney se lance à corps perdu dans des entreprises ambitieuses, mais il déroute son public. Il n’est pas Shakespeare… ou Chaplin. Et puis, comment le dire ? Son art, plus encore que le cinéma traditionnel, exige le travail de très nombreuses équipes. Or, si le studio Disney représente la meilleure école de dessin animé de son temps, la façon dont les salariés sont traités par le chef est épouvantable, ce qui provoque à la fois le départ des meilleurs et l’épanouissement des concurrents.
Le grand mérite d’Olivier Cotte, outre une reconstitution minutieuse, est de ne rien dissimuler des outrances ou des fautes commises par son personnage, mais aussi de ramener ces même fautes à leurs justes proportions. Disney n’était pas Lindberg, aviateur pronazi. Disney n’était pas Jo McCarthy.
Certes, il était conservateur, anticommuniste et conformiste. Son protestantisme était sans doute un vieux souvenir. Seules comptaient pour lui les conventions sociales.
Un artiste aventurier
De quoi se lamenter sur ce triste sire ? Oui, mais il était aussi, Cotte le fait comprendre, incertain de lui-même, au point de fumer comme une locomotive et de boire comme un buvard. Il ne s’est pas non plus enrichi comme tant d’autres, et l’on prend conscience que le projet des parcs d’attraction relevait chez lui d’une sympathique utopie. Ce n’est que bien plus tard, porté par une armée de talentueux financiers capables de faire surgir le cash flow comme d’autres du pétrole, que le groupe Disney devint ce que nous en savons de nos jours.
Au fond, Walt n’était pas un saint. Mais derrière le type un peu vulgaire et très borné vivait un artiste aventurier. Ce drôle de zèbre est mort le 15 décembre 1966. En France, il était alors « L’ami public numéro 1 », suivant le titre d’un programme télévisuel présenté par le merveilleux Pierre Tchernia. Même les enfants qui lisaient Pif – héros de la presse communiste – aimaient regarder chaque semaine les aventures de Donald et Pluto, des extraits de Fantasia, des courts métrages à vocation pédagogique. Disney lui-même apparaissait, souriant, affable, présentant des lions dans son bureau. « L’Amérique » était là, dans son costume de bonne humeur. Et l’on sautait comme Zorro dans des appartements parsemé de boiseries…
A lire : « Walt Disney, l’homme qui rêvait d’être un enfant », par Olivier Cotte (Perrin, 416 p. 24 €)