Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2025, Dossier 137 de Dominik Moll aborde le thème de la quête de vérité, sur ce qu’elle coûte à celles et ceux qui la poursuivent, et sur les lignes de fracture qui traversent nos institutions démocratiques.

Un jeune homme est blessé par un tir de Flash-Ball lors des manifestations liées au mouvement des Gilets jaunes. Stéphanie, enquêtrice à l’Inspection générale de la Police nationale, est chargée d’en déterminer les responsabilités.

Au cœur du film, une affaire presque banale, classée parmi tant d’autres. Le “dossier 137” concerne un tir de lanceur de balles de défense (LBD) lors d’une manifestation de Gilets jaunes, qui a gravement blessé un jeune homme. Aucun policier n’a reconnu avoir tiré. C’est Stéphanie, enquêtrice à l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN), incarnée avec justesse et retenue par Léa Drucker (que l’on retrouve après L’intérêt d’Adam qui ouvrait mercredi la Semaine de la Critique) qui est chargée d’élucider l’affaire. Son investigation la mène à démêler des témoignages contradictoires, à interroger la culture du silence, de la peur, de la solidarité de corps, de s’impliquer… jusqu’à confronter sa propre conscience.

Entre justice et loyauté : le dilemme moral

Le film ne cherche pas à faire un procès à charge contre la police. Au contraire, il installe le spectateur dans une zone grise, là où le devoir, la responsabilité, la loyauté et la vérité ne s’alignent pas forcément. Stéphanie est elle-même policière, et elle le rappelle plusieurs fois, expliquant même ne pas avoir totalement choisi ce poste à l’IGPN. Elle comprend les contraintes de terrain, la tension des manifestations, les automatismes de protection du groupe. Mais elle est aussi une femme de justice, convaincue que l’institution ne tient debout que si elle regarde ses propres fautes en face. Dominik Moll filme cette tension avec une économie de moyens qui renforce la gravité du propos. Aucun pathos, aucun manichéisme. Juste des visages, des silences, des décisions, la dose d’humour nécessaire… et une réalisation remarquable.

Chercheuse de vérité

Dossier 137 interroge cette recherche de la vérité. Dans la Bible, la vérité n’est pas d’abord une accumulation de faits, mais plutôt relation, justice rendue, lumière dans les ténèbres. Ici, Stéphanie avance dans une nuit morale, sans certitude de pouvoir rétablir quoi que ce soit. Mais elle avance quand même, vaille que vaille. Ce film pose une question essentielle pour notre époque : que vaut une vérité qu’on refuse de voir ? Et que risquons-nous, collectivement, lorsque la justice se plie à la commodité ou à la peur de l’impact institutionnel ? On retiendra le dialogue final entre Stéphanie et sa supérieure qui résume en quelques phrases tout l’enjeu qui est là au cœur de cette histoire tiré naturellement d’une véritable affaire. D’ailleurs, en vous laissant découvrir sur l’écran, le final nous rappelle la vérité des faits… du moins ce qu’il en reste !

L’éthique face aux silences organisés

À l’heure où les violences policières sont parfois instrumentalisées dans les débats politiques, Dossier 137 propose une autre voie : celle de l’éthique du réel, du travail patient, du doute assumé. C’est un film qui invite au discernement, loin des slogans faciles qui ne veulent souvent pas dire grand-chose, et à une forme de responsabilité partagée : celle des institutions, bien sûr, mais aussi des citoyens et citoyennes qui demandent – ou fuient – la vérité.

Dominik Moll signe ainsi ici une œuvre grave et maîtrisée, qui ose questionner sans accuser, écouter sans relâcher, et qui fait résonner dans nos esprits cette parole : « La vérité vous rendra libres » … mais rarement indemnes. Le Jury y sera-t-il sensible ?

Dossier 137 est annoncé en sortie salles en France le 19 novembre 2025.