La saison des fraises annonçant les cerises de juin, pourquoi ne pas commencer le mois du soleil en collectionnant des pendants d’oreilles ? En 1964, deux jeunes chercheurs épris de liberté, de justice, Michel Winock et Jean-Pierre Azéma, publièrent «Les Communards ». Ils rééditèrent leur « implacable forfait » six ans plus tard et puis, et puis leur ouvrage disparut des librairies. Voici qu’à l’occasion des 150 de l’événement, la collection Tempus publie de nouveau ces 200 pages merveilleuses, écrites à la façon d’un récit de veillée, mais construites avec rigueur et sans complaisance pour personne. On aime et vous aimerez sans doute le classement des idées politiques portées par les révoltés de l’année Terrible, on aime et vous aimerez sans doute aussi le courageux colonel Rossel, protestant, nîmois d’origine qui, furieux de voir le maréchal Bazaine abdiquer sans combattre face aux prussiens, choisit de rejoindre le soulèvement des Parisiens. La suite relève de la tragédie, mais nous vous laissons le plaisir de la découvrir, si vous ne la connaissez déjà. L’avez-vous remarqué ? D’un livre court qui dit beaucoup, chacun s’en va répétant qu’il est une excellente synthèse. En lisant Les Communards, on se dit qu’il faudrait changer de disque, choisir un autre mot que ce vocable horrible qui respire la chimie, l’artifice, alors que transmettre l’essence d’un sujet relève d’une gageure.

Autre plaisir du printemps, l’essai de Jean-François Sirinelli : « Ce monde que nous avons perdu » (Tallandier, 392 p. 21,90 €). N’allez pas vous méprendre, il ne s’agit pas d’une déploration. Baby boomer encore vert- avec jeu de mot pour nos amis écologistes…- cet historien jongle avec les concepts afin de nous montrer que la République est une matière vivante et qu’à ce titre on peut la réinventer. « La république au pouvoir telle que nous la connaissons depuis cent cinquante ans n’est qu’une république possible parmi d’autres, nous a déclaré l’auteur. Elle a d’abord été un combat- suivant le mot de l’historien Maurice Agulhon- qui n’était pas gagné d’avance, une ligne d’horizon qui se profilait dans le regard et se dérobait sans cesse. Bien sûr, un individu ou une collectivité a droit à la nostalgie. Mais ce qui m’intéresse n’est pas la reconstitution idéalisée d’un passé qui n’a jamais existé, quelque chose comme une reconstitution à la Viollet-Le-Duc. Bien au contraire, je veux faire entrevoir, au travers d’une analyse de la structure politique, un système beaucoup plus complexe, un équilibre entre un corps social, un système de pensée, des valeurs, autant d’éléments qui constituent ce que l’on nomme aujourd’hui le Vivre ensemble et que j’appelle la Civilisation Républicaine. »

A cet énoncé, certains peut-être regrettent un brin de romanesque, des capelines et des carrosses, des Mystères. D’autres voudraient lire à l’opposé des récits contemporains, condamnant les références permanentes au passé. Réconciliant ceux-ci avec ceux-là, nous recommandons chaudement « Gloria Vynil » (Zoé, 204 p. 18 €). Femme écrivain suisse de langue française, Rose-Marie Pagnard en est l’auteur. Autant le dire, elle nous bouleverse. Toujours le péril est grand de faire connaître une littérature en quelques mots. N’empêche, on court le risque, parce que cette helvète est fantastique – au propre comme au figuré. Lisez-ceci: « Dans leur cage plantée à la lisière de la forêt, les grands chiens noirs menaient leur tapage matinal. Sur le seuil de la cuisine apparut, bien avant l’heure habituelle, une petite fille flottant dans une chemise de nuit bleue à motifs de voiliers blancs. C’était par pur désir de promener ces voiliers dans la cour de la ferme, comme sur la mer, que l’enfant était sortie seule de la maison. »

 

 

Les mots nous gagnent et de fil en aiguille, on pense aux mouvements de la sensibilité. Dans cette famille, on sait l’expérience d’Alain Corbin. Oui, certes, c’est encore un historien. Mais ses livres, autant de promesses à tenir, agissent comme les sortilèges. Avec « La Rafale et le zéphyr » (Fayard, 180 p. 19 €) ce diable d’homme nous propose une analyse du vent, de sa force, également de sa présence dans la Bible ou chez Homère. A ces deux noms surgissent d’autres lectures, deux Bouquins : « Le quartette d’Alexandrie », anthologie formidable de textes écrits par quatre grands Anciens au sujet de la reine des villes, ainsi que le « Dictionnaire Jésus», une somme publiée sous la direction de Renaud Silly. Quoi ? Un dominicain dans ce blog ?  Mais oui, il en est d’excellents, on en connaît même de remarquables !

Tout cela danse à l’esprit. Bien entendu, vous choisirez parmi ces livres, suivant votre inspiration, votre désir. Il vous arrivera même de piocher quelque vestige sublime. Avez-vous lu « Henri Matisse roman » ? La compagnie des voyages Louis Aragon vous invite à Nice, une destination comme une espérance… Au moi de mai, tous les plaisirs sonnent juste.