Éric-Emmanuel Schmitt, connu pour ses romans, est aussi joué au théâtre dans près de 50 pays. Le coffret DVD proposé par les éditions Montparnasse contient la pièce fétiche qui l’a révélé à la France et au monde entier, Le Visiteur, récompensée de 3 Molières, ici interprétée par Sam Karmann, Franck Desmedt, Katia Ghanty et Maxime de Toledo, dans une mise en scène de Johanna Boyé. Mais c’est l’occasion de retrouver également Éric-Emmanuel Schmitt, interprétant lui-même deux autres de ses textes, deux monologues humanistes et tendres : Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran et Madame Pylinska et le secret de Chopin.
Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran
Dans le 1er DVD, le romancier défend l’un de ses textes dans l’arène théâtrale, mis en scène par Anne Bourgeois. Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, c’est l’histoire tendre et drôle d’un gamin au franc-parler et de l’épicier arabe de sa rue. Nous sommes à Paris, dans les années 60. Momo, un garçon juif de douze ans, devient l’ami du vieil épicier arabe de la rue Bleue pour échapper à une famille sans amour. Mais les apparences sont trompeuses : Monsieur Ibrahim n’est pas arabe, la rue Bleue n’est pas bleue et la vie ordinaire peut-être pas si ordinaire… L’auteur y incarne Momo devenu adulte. Mais également tous les autres personnages qui gravitent autour de lui, dont ce père qui l’ignore superbement, et bien sûr, Monsieur Ibrahim, qui lui transmettra des valeurs d’amour et de tolérance. Un hymne à l’amour que Schmitt incarne sur scène avec beaucoup de tendresse.
Madame Pylinska et le secret de Chopin
On change de DVD et c’est alors une fable tendre et comique, garnie de chats snobs, d’araignées mélomanes, d’une tante adorée, et surtout de mélodies de Chopin, qui se présente à nous, toujours avec l’auteur qui interprète à nouveau tous les rôles dans une mise en scène de Pascal Faber et la compagnie du pianiste de renommée mondiale Nicolas Stavy, qui reprend le répertoire de Frédéric Chopin. Madame Pylinska et le secret de Chopin est un délicieux conte initiatique, aux accents saint-exupériens, aux tonalités psycho pop et à la lisibilité élémentaire. Madame Pylinska, aussi accueillante qu’un buisson de ronces, impose une méthode excentrique pour jouer du piano : se coucher sous l’instrument, faire des ronds dans l’eau, écouter le silence, faire lentement l’amour… Au fil de ses cours, de surprise en surprise, le jeune Éric apprend plus que la musique, il apprend la vie. Les grands compositeurs ne sont-ils pas des guides spirituels qui nous aident et nous apprennent à vivre ?…
Le Visiteur
Enfin, le troisième DVD nous replonge dans cette pièce emblématique qu’est Le Visiteur. Dans Vienne, plombée par le nazisme, Freud refuse de partir, au risque de voir sa fille – farouchement critique – être arrêtée par la Gestapo. Cette nuit-là, un « Visiteur » fait irruption chez lui. Une discussion s’engage sur la vie, la mort, le monde, la foi en Dieu. C’est brillant, varié et très dense. Il faut donc être attentif car le texte nous force à réfléchir, à nous interroger. L’adaptation sur scène, dans une belle mise en scène sobre de Johanna Boyé, est portée par deux acteurs fabuleux qui déploient tout le spectre de l’échange, du raisonnement philosophique à l’invective.
Sam Karmann campe un Freud à barbe blanche parfaitement crédible, savant, athée, inquiet et désenchanté. Franck Desmedt est un Visiteur insaisissable, vivace et léger, un brin cynique.
Est-il un dingue échappé d’un asile ? Une incarnation de Dieu ? Une voix de la conscience freudienne ? On s’en fiche un peu. C’est l’échange qui importe. C’est régénérant et extrêmement stimulant.
Mais comme tout bon DVD, et coffret ici en l’occurrence, on ne s’arrêtera pas là… Un précieux bonus d’une demi-heure vient parfaire la proposition : un face à face avec Éric-Emmanuel Schmitt évoquant ces œuvres et les commentant. Et je conclurai avec les mots de Schmitt lui-même concluant précisément cet entretien en revenant sur un dialogue de Madame Pylinska :
– Quel est le secret de Chopin ? demande le jeune Éric
– Il y a des secrets qu’il ne faut pas percer, répond madame Pylinska, mais fréquenter. Leur compagnie vous rend meilleur.
Et ça, dit Schmitt, c’est tout mon rapport au monde. La condition humaine est mystérieuse. Le sens est une promesse mystérieuse. Il faut se réchauffer à ces mystères plutôt qu’essayer de les percer. Je crois qu’il faut fréquenter les mystères… d’ailleurs la relation amoureuse, qu’est-ce que c’est d’autre que la fréquentation assidue d’un mystère qu’est l’autre ? Cette phrase résume toute ma façon d’appréhender la vie.