Nous étions peu nombreux dans l’espace de charme de la cave voûtée de la rue de Nesle. Nous découvrîmes dans la proximité des deux personnages leurs goûts, leur histoire, leurs amours. La pièce raconte une rencontre au moment de la confrontation à la maladie, puis celle-ci évoluant à l’approche de la mort. Mais rien de morbide, au contraire, une rencontre heureuse qui fait du bien car véridique entre un homme et une femme qui s’accueillent, exposent leurs convictions et interrogations les plus ultimes. Lui, Jacques, est un physicien, matérialiste rationnel athée, ne croit qu’à la causalité pour expliquer le monde et s’intéresse à la culture des Crees, ethnie du Canada de son ex-épouse. Elle, médecin scientifique aussi rationnelle mais pas seulement. Elle croit à la valeur de l’intuition. Elle se fera le porte-parole des thèses de Teilhard de Chardin dont elle connaît l’œuvre.
S’interroger sur le chemin…
L’échange aborde au fur et à mesure des rencontres les questions d’écologie, de relation à la nature, les conceptions matérialistes du monde et des représentations plus spirituelles, ce qu’est l’amour, force de « liaison », en parallèle entre les conceptions du savant jésuite et les croyances des amérindiens. Rien d’intellectuel ni de pédant, il ne s’agit pas d’un exposé. Mais des
remises en question, des confrontations de diverses façons d’appréhender le réel. L’esprit des castors, ou l’esprit de la forêt ? Est-ce une autre façon d’affirmer, avec Teilhard de Chardin, que tout phénomène physique a son volet spirituel ? La maladie gagne, l’homme est lucide. Jacques reconnaît être touché par l’idée d’esprit matière, la notion de forces d’union en action depuis la création du monde. Oui, cela fait vibrer mes neurones, ajoute-t-il. Mais il se conforte en précisant : nous sommes si près du darwinisme matérialiste. Le spectateur suit, fasciné, le rapprochement entre savoirs et croyances d’origines différentes.
… et sur sa destination
S’invite la question de la mort, celle de l’âme, de sa nature : est-ce une chose ? Une fonction ? Du temps de ce qu’il advient après la mort. La mort ne doit plus être considérée comme un départ pour un après ou un ailleurs mais comme la transformation en un autrement. Disant cela, la médecin a posé tendrement la main sur celle de l’homme affaibli. Son visage a une expression de reconnaissance et de bonheur. Une réelle affection s’est développée dans la sincérité. À ce moment, par la magie du théâtre, on ressent l’émerveillement de cette si forte relation faite de don d’écoute, de réflexion et d’accueil, y compris de la réalité de la maladie. L’heure et demie a passé si vite. La salle émue marque un temps d’arrêt avant d’applaudir aux dernières paroles qui citent celles du livre de Joseph Boyden : Formant un grand cercle, nous avons élevé nos voix pour Linda – pour Gitchi – manitou – pour Dieu. Et j’ai commencé à sentir quelque chose, une chose bonne, que je n’avais pas sentie depuis longtemps. La narration est d’un optimisme incroyable, concède Jacques. La doctoresse ajoute : C’est un encouragement permanent à l’action, un véritable hymne à l’amour. Un pasteur ajouterait peut-être : une invitation à une vie portée à son incandescence.
Jusqu’au 24 mars : tous les mardis à 19h et les samedis à 16h au Théâtre de Nesle, 8 rue de Nesle, 75006 Paris. www.theatredenesle.com