La crucifixion est une des images les plus présentes dans les églises, mais cela n’a pas toujours été le cas, du moins selon les codes iconographiques auxquels nous sommes habitués aujourd’hui. Il a longtemps été impensable de représenter Jésus souffrant sur la croix, ce supplice si banal réservé aux vulgaires voleurs et criminels. À la place, les prêtres choisissaient le poisson, le jeune berger et plus tard la posture « en majesté » pour représenter le Christ, figure rayonnante et toute puissante. Les oiseaux messagers La mosaïque de Saint-Clément est une des premières, au XIIe siècle, à choisir une représentation sur la croix tout en gardant le technique et les codes byzantins, sur fond or. Elle occupe tout l’abside de la basilique et se laisse voir en entier au dernier moment, après avoir franchi les pâtisseries baroques qui dominent la nef.

Est-ce une représentation du Christ souffrant ? Pas du tout. Les artistes ont en effet réalisé une œuvre étonnante, qui illustre en réalité le triomphe de la croix. Regardons de plus près. Tout est conçu pour faire oublier ce que la croix a représenté comme châtiment, une façon longue et très douloureuse de mourir. Tout d’abord, douze colombes la recouvrent comme pour mieux la cacher, qui figurent les douze apôtres. Ensuite, son pied est en réalité un buisson d’où partent des branches en volutes. Celles-ci recouvrent presque tout l’espace de l’abside dans sa largeur. C’est l’arbre de vie, un vieux symbole que l’on retrouve dans de nombreuses civilisations et qui est utilisé ici comme symbole chrétien.

La mort de Jésus annonce bien la résurrection et c’est tout le royaume de Dieu qui est concerné, représenté par les oiseaux parsemés entre les branchages de cette vigne extraordinaire. Il y a 50 volutes, ce qui n’est certainement pas un hasard : non seulement Pâques, mais aussi la Pentecôte est annoncée, 50 jours après Pâques, avec ces colombes et autres oiseaux qui vont partir annoncer la Bonne Nouvelle.

Comme un cerf altéré brame

En-dessous des racines de la croix, deux cerfs – c’est-à-dire tous les chrétiens – s’abreuvent aux quatre fleuves du paradis ou des quatre évangiles, selon les interprétations. Cette image rappelle le psaume 42 et le cantique de Théodore de Bèze : Comme un cerf altéré brame/Pourchassant le frais des eaux/Ô Seigneur, ainsi mon âme/ Soupire après tes ruisseaux. Si l’on remonte le long de la croix, on trouve Marie et Jean de chaque côté, puis le visage du Christ, tourné vers le ciel, plus exactement vers la main de Dieu tournée vers lui, dans une posture de confiance.

Cette main attire vers elle pour tenir les promesses de vie et de résurrection. Tout en haut, on retrouve les quatre évangélistes sous leur forme symbolique (lion, ange, aigle et taureau) qui encadrent un Christ, cette fois en majesté. Il est à nouveau repris tout en bas plus classiquement sous la forme d’un mouton entouré d’une auréole et entouré des douze apôtres. La mosaïque de Saint-Clément se veut ainsi un véritable cours sur la crucifixion conduisant aux fêtes de Pâques et de Pentecôte. C’est surtout une merveilleuse œuvre d’art qui a franchi les siècles pour éblouir à chaque géné- ration ceux qui ont eu la chance de pourvoir l’admirer.