L’historien Olivier Grenouilleau vient de publier deux nouveaux livres, « Christianisme et esclavage » et « Mémoires d’un négrier ». 

D’un pied sur l’autre, en certaines circonstances, Olivier Grenouilleau paraît se balancer. Non qu’il hésite sur la conduite à tenir ou sur les idées qui le taraudent. Non : il offre à sa constance un moment de répit. Le temps de se laisser porter par un verre de vin d’Anjou, par les sourires de la Maine, par une cache troglodyte où manger des reines-claudes. Par quel chemin a-t-il choisi l’esclavage pour champ d’étude ? On parierait que cela remonte à l’enfance : au creux d’un livre des années soixante – aux visages expressifs, aux à plats de couleurs mats, aux récits bruts– il aurait pu découvrir cette abomination, prendre conscience que la cour de récréation n’était qu’un laboratoire, et se donner pour ambition de percer le mystère de l’injustice universelle. Peut-être cela fut-il moins romanesque? Toujours est-il que l’agrégé d’Histoire a pris pour sujet de thèse « L’argent de la traite » et qu’il a suivi ce chemin sans discontinuer.

Que nous apprennent les deux livres qu’il publie ? « Christianisme et esclavage » (Gallimard, 540 p. 28,50 €) se présente comme une somme. Ceux qui veulent croire qu’une religion prêchant l’amour du prochain guérit l’homme de ses fautes en seront pour leurs frais, tout autant que les partisans de l’auto-flagellation.  « Complexes et évolutives, écrit l’historien, les relations entre christianisme et esclavage ne peuvent être véritablement saisie que par une double approche, à la fois globale et contextualisée. Globale dans les deux sens où j’entends ce terme. Est globale une histoire s’intéressant à de vastes territoire, au monde ou à certaines de ses parties, sur une longue durée. Mais le global ne se définit pas seulement par ses dimensions. Il prend sens par la mise en réseau des informations. » Pas de ni-ni– encore moins de « en même temps » ! Olivier Grenouilleau analyse avec précision l’asservissement de l’Homme par l’Homme, nous en décrit les sinuosités, le cœur gros mais le sang froid. Le recours à l’émotion risquerait de nous faire perdre l’essentiel : la vérité.

Le volume intitulé « Mémoires d’un négrier » (Le Cerf, 333 p. 24€), contient le journal de Joseph Mosneron Dupin. Voilà un brave et honnête commerçant, fier de lui, qui nous explique le comment du pourquoi, relate ses voyages, et parle de sa marchandise humaine comme on évoque des ballots de canne à sucre. Ce récit méritait d’être connu, tant il jette une lumière crue sur l’outillage mental de ces capitalistes d’un genre particulier. « Nous eûmes pendant un mois des vents favorables qui nous conduisirent à la hauteur des îles de Madère », écrit Joseph Mosneron Dupin, qui ajoute un peu plus loin: « Quand je me sentais pressé par la faim, je m’accroupissais avec les Nègres et partageais leur repas. Il ne fallait pas être dégoûté pour manger avec eux. »  S’ensuivent des aventures qui pourraient s’apparenter à quelque roman de navires et pirates, si ce n’est que le trésor que l’on transporte a forme humaine.

Plutôt que de détourner le regard, il faut poursuivre la lecture, parce qu’ainsi nous comprenons que ces gens n’étaient pas horribles bien qu’ils se livrassent à cette affreux commerce. Ils avaient même des lectures…

« A la fin du siècle, on peut ainsi être un armateur plus ou moins « éclairé» et pratiquer la traite, explique Olivier Grenouilleau dans le texte accompagnant ces mémoires. Certains commencent, il est vrai à se poser plus de questions, mais elles sont rapidement évacuées. Et, à La Rochelle, ceux allant trop loin en ce sens sont peu à peu écartés de la société négociante.»

Voilà qui nous invite à la vigilance et l’humilité pour aujourd’hui. C’est aussi l’une des grandes leçons de ce savant, qui nous encourage à ne pas prendre l’histoire pour une machine à songes.

Olivier Grenouilleau pourtant demeure un grand rêveur. Mais il réserve cette part de lui-même à la Petite Reine, avec laquelle, en équipe, il parcourt les chemins du Maine-et-Loire, à ses amis –  sous la tonnelle de son jardin de cocagne–  et surtout, bien sûr, à son épouse et sa toute jeune fille. Il suffit qu’il prononce leur nom, mieux encore qu’elles soient près de lui, pour que cet homme inquiet recouvre la confiance en l’être humain. D’un pied sur l’autre il paraît se balancer, mais c’est enfin de bonheur et de sérénité.