Dans Familia, Francesco Costabile filme une tragédie familiale intime, viscérale, inspirée du récit autobiographique de Luigi Celeste (Non sarà sempre così). Le film a été récompensé à la Mostra de Venise 2024 (prix de la meilleure interprétation masculine).
Rome, début des années 1980. Licia élève seule ses fils Gigi et Alessandro, à la suite d’une mesure d’éloignement de Franco, leur père dont la violence a marqué leur enfance. Gigi grandit en trouvant refuge auprès d’un groupe néofasciste et reproduit peu à peu le schéma paternel. Après dix ans d’absence, Franco réapparaît, bien décidé à retrouver sa place au sein de ce qu’il considère comme son foyer.
Un appel à briser les cycles de maltraitance
Francesco Costabile choisit une approche immersive, où la caméra épouse les mouvements de Gigi, ses enfermements intérieurs et extérieurs. L’environnement clos devient métaphore du destin de ceux qu’une société abandonne. Ce n’est pas un drame psychologique de salon : c’est une descente dans un monde où l’État, censé protéger, reste trop absent ou maladroite, où la mère, courageuse mais accablée, échoue à fuir vraiment.
Familia interroge la responsabilité masculine, la culture de la domination, et les silences complices. Le film, tout en sobriété, n’en est pas moins un appel fort à briser les cycles de maltraitance. Il montre comment l’éducation, la justice, mais aussi le lien social, peuvent ou non faire rempart.
Le réalisateur explique le choix de son titre : « J’ai toujours été frappé par l’origine du mot familia, qui devrait représenter le lieu de l’amour et de l’inclusion, mais qui en latin désigne le contrat de domination du pater familias avec ses serviteurs, parmi lesquels se trouvent notamment sa femme et ses enfants. »
En mêlant différents registres de cinéma, allant du thriller psychologique au film de genre, en passant par le drame social, Familia entre en résonance avec plusieurs questionnements universels. Comment se libérer d’un héritage destructeur sans renier ceux qui nous ont précédés ? Comment briser la violence sans la reproduire ? Gigi incarne cette tension : pris entre fidélité filiale et instinct de survie, il est contraint à un geste tragique. Mais à travers ce geste naît aussi un lent chemin de rédemption. Derrière la noirceur, un autre horizon s’ouvre.
Etre attentifs aux signaux d’alerte
Le film est aussi un véritable réquisitoire, un appel à l’écoute et à l’action au moindre signe, à chaque demande d’aide ; car les plaintes et les dénonciations finissent souvent sur les étagères de la bureaucratie. Et l’histoire de la famille Celeste ne fait pas défaut à ce phénomène : une famille abandonnée par les institutions, qui finit par imploser sur elle-même avec les conséquences les plus tragiques.
Francesco Gheghi, dans le rôle de Gigi, livre une performance bouleversante, justement primée à Venise. Il incarne un jeune homme en lutte non seulement contre son père, mais contre ce qu’il est en train de devenir. Dans ce combat, la question n’est pas seulement morale ou sociale. Elle est existentielle : peut-on redevenir quelqu’un d’autre ?
Familia est un film nécessaire. Parce qu’il ne détourne pas les yeux. Parce qu’il donne voix à ceux qu’on n’écoute pas assez. Parce qu’il croit, envers et contre tout, à la possibilité d’un sursaut, d’un récit différent. Il dit, à sa manière, que l’histoire n’est jamais écrite d’avance. Et que même dans l’enfer d’un foyer brisé, il peut encore y avoir un chemin. Peut-être pas de pardon, mais du moins de vérité. Et c’est déjà immense.