Quand Jacques Audiard est sélectionné à Cannes, on ne peut qu’être attentif… Palme d’or en 2015 pour Dheepan, bien évidemment, mais aussi Prix du meilleur scénario en 1996 pour Un héros très discret et Grand prix du jury en 2009 pour Un prophète, pour n’en rester qu’aux récompenses de la Quinzaine… Il ne serait pas surprenant de le retrouver samedi soir dans le palmarès 2021, et pourquoi pas pour une deuxième Palme d’or.

Les Olympiades est l’adaptation d’un roman graphique américain d’Adrian Tomine Les Intrus qui est à l’origine un recueil de six histoires. À travers d’innombrables fenêtres de ces monolithes de béton du 13ème arrondissement – et, entre eux, les toits bas et incurvés de La Pagode qui dessert l’importante population chinoise et vietnamienne du quartier – la vie ordinaire se déroule : fêtes d’anniversaire, soirées tranquilles devant la télévision, et même une séance privée de karaoké, alors qu’Émilie (Lucie Zhang), nue sur le canapé, chante une ballade orientale traditionnelle, et que son amant Camille (Makita Samba) la rejoint. Qu’est-ce qui les a amenés tous les deux jusque-là ? « C’est comme ça que ça a commencé » et l’intrigue remonte quelques semaines en arrière, lors de l’entretien de Camille comme colocataire potentiel de l’appartement d’Emilie. L’alchimie est évidente dès les premières secondes. La fougueuse Émilie et le brillant Camille forment le premier côté du quadrilatère romantique principal du film. Il ne faut pas longtemps avant de rencontrer les deux autres sommets. Il s’agit de Nora (Noémie Merlant), une agent immobilière bordelaise qui prend un nouveau départ à l’aube de la trentaine avec la reprise d’études à Paris, et d’Amber Sweet (Jehnny Beth), une star du sexe en ligne à laquelle Nora ressemble un peu. Les vies de ce quatuor se croisent de manière toujours passionnante et surprenante, grâce notamment à la volatilité fondamentale des jeunes urbains contemporains.

 

Si le sexe tient une place importante dans le film et la vie de ces jeunes urbains, il n’est pas aussi désinvolte et insouciant qu’ils aimeraient le laisser croire. Audiard nous fait percevoir qu’ils sont tous à leurs manières à la recherche de quelque chose, d’une sorte de connexion, physique ou virtuelle. Si le zapping permet à priori de se protéger, leur besoin profond commun se situe dans la nécessité de réparer des blessures personnelles. Un sentiment de perte s’insinue, un passage de génération. Camille pleure tranquillement la mort récente de sa mère, Nora cache un secret douloureux, la grand-mère d’Emilie sombre dans la démence, et Amber est désespérément seule derrière son écran. Ce sont là des portraits d’une jeunesse en quête d’elle-même. Sans dévoiler plus qu’il n’en faut, Audiard réussit à dépeindre une génération qui peine avec l’amour, mais il nous donne pourtant aussi de croire que tout n’est pas perdu, que dire encore « Je t’aime » aujourd’hui est possible et qu’il est bon d’espérer.

Audiard nous prouve une fois de plus qu’il gère son cinéma avec une aisance exceptionnelle et un style imparable, s’entourant de grands talents jeunes ou confirmés à tous les degrés de son ouvrage. Tout est beau ici. La musique notamment de Clément Ducol et de Rone qui est un véritable écrin sonore sur mesure pour l’histoire. Et la photo évidemment, Audiard travaillant pour la première fois en noir et blanc, avec une référence comme directeur photo en la personne de Paul Guilhaume, le réalisateur fait un choix intéressant qui donne étonnamment une « couleur » particulière qui devient atmosphère et participe au rendu de l’histoire. Ce n’est clairement pas qu’un choix esthétique ou un petit caprice artistique. Ces tours parisiennes en noir et blanc nous rappellent évidemment le regard de Mathieu Kassovitz avec La haine… mais ici s’arrête la ressemblance, Les Olympiades faisant le choix de l’amour… quoi qu’en y réfléchissant, un autre point commun pourrait être que Les Olympiades, lui aussi, est un film qui marque les esprits.