Julie (en 12 chapitres), cinquième film de de Joachim Trier, donne au réalisateur norvégien l’occasion de revenir pour la troisième fois sur le tapis rouge de la Croisette. Il conclut ici une sorte de trilogie commencée avec Nouvelle donne et Oslo, 31 août pour parler de personnes souffrant du vertige du temps qui les traverse. Le portrait d’une jeune femme d’aujourd’hui, dressé avec une grande sensibilité, de l’émotion et ce qu’il faut d’humour, le tout porté par Renate Reinsve, une jeune actrice absolument rayonnante.

Un prologue, douze chapitres et un épilogue, et deux heures qui s’écoulent on ne peut plus facilement, pour nous raconter l’histoire de Julie (Renate Reinsve), une brillante étudiante en médecine d’une vingtaine d’années. Une voix off, nous raconte en quelques instantanés ses études et ses premières expériences sentimentales avec une certaine ironie. Une fille qui zappe à tout va… D’abord médecine donc mais très vite, insatisfaite, elle bifurque pour devenir psychologue, jusqu’au jour où la photographie s’immisce dans sa jeune existence, pour finir par travailler dans une librairie. Une jeunesse, des sollicitations en pagailles et donc de multiples possibilités. Et les sentiments se mêlent à tout ça, prise entre son amour pour un photographe plus âgé (Anders Danielsen) et un flirt avec un jeune serveur (Herbert Nordrum). Mais comme le savent trop bien tous ceux qui ont déjà passé une heure à parcourir Netflix sans but précis, avoir trop d’options peut vous empêcher de vous engager dans l’une d’entre elles ; plus le menu est grand, plus il est difficile d’avoir l’impression d’avoir commandé le bon repas.  Mais enfin, tout cela n’est que le prologue d’une longue et belle histoire, façon comédie romantique sur les bords mais avec une vraie réflexion plus profonde qu’il n’y parait, autour des choix, de la vie de couple, de la maternité, de la fluctuation des sentiments, des relations familiales plus largement et bien sûr de ce qui est le véritable héros invisible du scénario : le temps.

Julie (en 12 chapitres) aborde le temps sous différents angles. La nature fragmentée de sa structure littéraire nous permet de ressentir les années qui glissent entre les doigts de Julie, tandis que la focalisation des meilleurs chapitres place des moments isolés sous un microscope pour voir comment certaines nuits peuvent résonner toute une vie. Dans une séquence remarquable qui devrait résonner chez tous ceux qui se sont déjà posé cette fameuse question « et si j’arrêtais tout pour vivre ailleurs avec mon amoureux ou mon amoureuse », le temps lui-même s’arrête complètement dans tout Oslo alors que Julie traverse la ville en courant d’un homme à un autre. C’est le fantasme romantique par excellence qui suinte au cœur de ce film avec cette aspiration : choisir sans conséquence. Mais comme le souligne Trier : « Julie est une jeune femme spontanée, qui croit qu’on peut changer de vie à sa guise et qui recherche ça, puis qui se retrouve un jour confrontée aux limites du temps et à celles de chacun y compris les siennes. Il n’y a pas un nombre infini d’opportunités dans une existence. » Et puis il y a toutes ces références nostalgiques sur un temps passé où la culture notamment passait par les objets que l’on touchait, que l’on possédait. Bien avant que les écrans, les réseaux, le plateformes numériques emportent (presque) tout sur leur passage… Mais Julie justement est une fille de son temps, génération zapping, et qui a donc grandi avec tout ça, ayant même connu le portable ouvert sur la table de classe pour suivre les notifications instantanées pendant que le prof faisait cours.

Quelques mots sur Julie justement ou, plutôt à vrai dire, de la lumineuse Renate Reinsve qui trouve là son premier grand rôle au cinéma (on pourra noter qu’elle apparaissait déjà dans Oslo, 31 août il y a 10 ans). À 33 ans elle éblouit par son talent et son charisme et pourrait tout à fait accueillir lors du palmarès un joli prix d’interprétation féminine qui lui irait à merveille. Mention aussi pour les divers aspects techniques, réalisation, montage et surtout photo qui offre à ce scénario un écrin admirable.

Dans cette belle romance contemporaine, Julie peut sans doute se sentir comme « la pire personne au monde » de temps en temps (traduction du titre original – un titre éminemment moins poétique évidemment), et elle peut même le faire ressentir là quelques-uns de ses proches pendant une minute ou deux, mais il n’y a semble-t-il pas de meilleur moyen pour elle de parvenir à être vraiment celle avec qui elle peut vivre. Et sa tendresse et son authenticité viennent de toute façon contrecarrer cette bien mauvaise qualification sur sa personne. L’ultime plan du film d’ailleurs le montre bien… Mais pour Joaquim Trier, il était important de la montrer avec ses bons et ses mauvais côtés. Il l’explique ainsi : « Je suis fan d’une approche humaniste de la dramaturgie, quand on peut montrer les conflits intérieurs des personnages, leur effort pour bien se comporter et parfois leur échec à y parvenir, un peu comme nous tous. »

Pour conclure, Julie (en 12 chapitres) est un film à regarder comme on lit un bon livre qui fait du bien sur une plage en été, mais qui pourra aussi se relire pour analyser un peu plus encore et se laisser interpeller.