François Ozon a adapté au cinéma les mémoires éponymes de l’auteure Emmanuèle Bernheim. Un drame familial résolument non sentimental et profondément élégant sur une auteure parisienne qui tente d’honorer le souhait de son père malade et extrêmement diminué de mettre fin à ses jours. 

C’est avec délicatesse et dans une approche cinématographique classique et soignée qu’Ozon traite ce sujet sensible du suicide assisté. Avec ce titre qui reprend une parole forte d’un moment crucial de l’histoire, Tout s’est bien passé, le spectateur se retrouve finalement invité à discerner ce qui s’est véritablement « bien » passé dans cette histoire sans chercher par quelque manipulation habile émotionnelle à influencer notre regard. Et c’est ainsi que l’un des plans de fin nous positionnant face à la mort, moment suprêmement difficile à réaliser dans un tel récit, reste obsédant par son absence d’émotion délibérément souhaité.

L’émotion n’est pourtant pas absente mais elle se joue ailleurs tout au long de la narration, dans les silences notamment concrets et scénaristiques, les non-dits plus précisément. Elle apparaît dans les regards, les attitudes des acteur chevronnés et admirables qui se fondent dans la justesse de leurs personnages et sans le moindre excès injustifié. Tout cela rend le film extrêmement touchant.

Sophie Marceau joue le rôle d’Emmanuèle, auteure parisienne reconnue, qui se retrouve devant une sorte de non choix lorsqu’une attaque cérébrale laisse son père de 85 ans, André (André Dussollier), à moitié paralysé avec peu de chances de se rétablir complètement et que l’octogénaire têtu et extrêmement persuasif décide qu’il est temps pour lui d’en finir. « On ne refuse jamais rien à mon père » ne cessera-t-elle de rappeler… Comme nous le voyons dans des flashbacks parfois heurtant, le vieil homme a toujours eu une ombre imposante sur la vie d’Emmanuèle, et ce n’est pas une simple attaque qui va le ralentir maintenant. « Quel connard », lâchera-t-elle ainsi à sa sœur (interprétée aussi remarquablement par Géraldine Pailhas) avec commisération. Mais les sentiments sont bien plus compliqués surtout quand tout cela se vit au cœur de la famille, avec divers paradigmes qui se croisent.

Bien que l’état d’André s’améliore, sa conviction ne faiblit pas, et le film tire sa tension narrative de l’espoir qui demeure chez ses filles qu’il changera peut être d’avis et, dans le même temps, de l’insistance d’André pour que sa sortie soit planifiée, au risque de la reporter… Ozon dé-sensationnalise ainsi le sujet constamment, y compris d’ailleurs avec les révélations sur le passé et la sexualité d’André, et il rappelle en pointillé que ce type de suicide assisté est toujours illégal en France mais possible en traversant la frontière… à condition d’être assez fortuné… Car, au grand dam d’André, le tout doit coûter 10 000 euros. « Comment les pauvres s’en sortent-ils ? » demande-t-il, ce à quoi Manue répond d’un ton sombre : « Ils attendent de mourir »… « oh les pauvres ! » conclura André qui ne manque jamais d’un certain sens de l’humour et de la dérision. Et c’est donc un André Dussollier méconnaissable, l’un des admirables vétérans de nos acteurs français, qui joue à merveille ce rôle d’André, industriel à la retraite, collectionneur d’art, homosexuel mais aussi marié à une artiste sculptrice (Charlotte Rampling) dépressive et atteinte de Parkinson. La situation nous mettra aussi en contact avec Gérard (Grégory Gadebois), l’ancien amant d’André avec qui la relation est très ambigüe, et avec la Suissesse qui doit mener à bien le processus, interprétée par Hanna Schygulla. Un casting hors pair dont il ne serait point surprenant de voir certains noms cités lors de la remise des prix du Festival.

Avec Tout s’est bien passé pas de débat véritable, car avec André, on ne discute pas vraiment, vous l’avez compris. Cet homme en a tout simplement assez et il n’a pas l’intention d’en discuter, ou d’obtenir notre consentement en faisant preuve d’émotion à ce sujet. Et à sa manière, ce film tient la même attitude. Il raconte un drame familial, sans jugement, avec le ton qui est identique à cette phrase prononcée : « Tout s’est bien passé ! ». Le reste nous appartient à vrai dire…