Inédit en France et Léopard de bronze à Locarno, le roman qui a inspiré Fehér est en réalité lui-même une version alternative terrifiante de la fin du film Ça s’est passé en plein jour (1958) dont Dürrenmatt avait co-écrit le scénario. Dans une atmosphère qui évoque à la fois Tarkovki et Bela Tarr, Crépuscule est une fable nihiliste et désespérée, où deux policiers enquêteront en vain sur un tueur en série.
Dans une des scènes initiales, un homme descend un escalier sans fin à la recherche d’un dessin d’enfant qui permettrait peut-être d’identifier l’assassin d’une petite fille – un géant sans visage qui semble terroriser les enfants qui l’ont vu. Opaque et inquiétante, l’interminable enquête criminelle, qui se déroule dans les volutes d’un brouillard envahissant un village de montagne désolé, n’est pas au service d’un thriller et de ses rebondissements – ici la défenestration du suspect, un colporteur qui a découvert le corps d’Anna – que le réalisateur déclare ne pas aimer.
Il préfère ainsi s’affranchir de tout réalisme pour nous plonger dans un véritable cauchemar éveillé, sans aucun enjeu d’efficacité narrative. S’intéressant moins à la progression de son enquête policière qu’à la métaphore fantastique de l’emprise de la violence sur un monde spectral et intemporel, le film déploie une méditation profonde sur le temps et sur l’espace, étirée à la mesure de l’obsessionnelle quête de vérité du policier qui débouchera sur un échec.
Pour autant qu’il accepte de jouer le jeu, le spectateur devra s’abandonner à de longs plans séquences hypnotiques et de somptueux travellings latéraux, travaillés dans un noir et blanc envoutant, et escortés d’une lugubre bande-son et de l’obsédant motif qui sourd d’un choeur d’hommes géorgien. C’est de cette façon qu’il vivra une expérience extrême de cinéma, marquée par un jeu habité et intense des acteurs. Héritier direct du cinéma expressionniste allemand et synthèse […]