Dieu m’a donné la foi, tel était le titre de la chanteuse Ophélie Winter en 1996, chanson qui avait fait beaucoup de bruit, non pas que celle-ci soit passionnante en soi, mais elle évoque de façon extrêmement directe les langages de la grâce, de la conversion, de la foi confiante. Cette petite révolution cassait la frontière très marquée entre la chanson religieuse ou pieuse et la chanson dite populaire, qui peut évoquer tous les sujets, mais pas Dieu, sinon pour s’en moquer.

La fin d’une ère ?

Quoi que cette frontière ne soit pas si marquée que ça, à bien y regarder. Dès les années 1960-1970 des Johnny Hallyday ou autres Mike Brant nous avaient chanté le fils du charpentier, Marie, ou encore confié C’est ma prière. Mais disons qu’à contrario des années 1990, ils étaient encore dans la toute fin d’une civilisation de chrétienté où les uns et les autres n’auraient pas culpabilisé d’évoquer Noël, le Noël de l’étable de Bethléem, ou encore le « Bon Dieu » d’Hugues Auffray qui s’énervait dans son atelier.

En deux décennies, Dieu a été expulsé globalement de la chanson car il l’a été de la culture populaire. Alors l’étonnement que suscite la chanson d’Ophélie Winter est qu’elle ouvre la possibilité d’un discours finalement presque confessant dans une chanson non confessionnelle. L’ex-compagne du chanteur Mc Solaar est à bonne école puisque ce dernier tente aussi une réintégration du spirituel et en particulier du divin dans ses chants. Leur point commun à tous les deux : ce « Dieu » n’est pas très marqué… Est-il celui de Muhammad, de Jésus ou de Moïse, on ne sait pas très bien, marketing oblige. C’est certainement la différence avec leurs prédécesseurs qui s’autorisaient d’être plus explicites encore et de dire de quel « Dieu » ils parlaient. Et d’autres emboîteront le pas, comme Dany Brillant, habitué des reprises de styles anciens, qui à son tour en 1999 s’adressait à Dieu en lui demandant d’écouter sa prière.

Écouter ces chants, c’est entendre à quel point la spiritualité n’arrive pas à être totalement expulsée de la pensée populaire. Pour autant, à part les quelques exceptions et quelques rares autres comme le Alléluia (1998) de Lara Fabian, il y a peu de ces chants totalement explicites qui auront pu percer dans le Top 50. Car il s’agit là d’un sujet clivant. Parler de Dieu c’est parler d’un dieu, avec le risque de ne pas parler des autres. C’est donc prendre position comme on prendrait position politiquement. Encore plus rares sont ceux qui s’y hasardent, comme Alpha Blondy, le chanteur reggae qui se risque à interpeler Dieu pour les enfants israéliens et les enfants palestiniens qui se font massacrer (Dieu, 1994).

Un nouveau souffle

Les années 1990 sont propices à cette expression, bien qu’on ne puisse pas parler de profusion avec seulement quelques poignées de titres, dont un des plus fameux sera celui de Francis Cabrel [Dieu] Assis sur le rebord du monde pour voir ce que les hommes en ont fait. C’est Laurent Voulzy avec son Jésus qui clôturera cette décennie tout en douceur. Seuls des Michel Delpech ou à nouveau Francis Cabrel oseront dans les années 2010 parler de Dieu. Surprise : leurs évocations du « crucifié de Golgotha » ou de la présence du Dieu humilié seront entendues.

Chacun aura noté que cette faible présence de Dieu dans le Top 50 est une spécificité francophone et française, car dans les cultures anglaise et américaine, c’est l’invasion, du rock au rap, du reggae au RnB. En 2003, les Black Eyed Peas peuvent fustiger le monde qui marche sur la tête et interpeler Dieu pour qu’il nous sauve : Père, Père, Père, aide-nous/Envoie-nous de l’aide d’en-haut/Parce que les gens me taraudent de questions : « Où est passé l’Amour, où est passé l’amour ». Imaginerait-on en France un chanteur aussi célèbre que le canadien Justin Bieber, qui s’afficherait clairement comme chrétien pratiquant jusque dans les paroles de certaines de ses chansons ? Un groupe comme U2, avec son chanteur Bono, dresse dans la presque totalité de son œuvre une mise en musique portant un message très explicite quant à la confiance en Dieu. Une analyse plus fine permet de trouver des évocations pointillistes chez tel ou tel auteur français, mais la grande majorité des textes sont polémiques ou moqueurs, voire simplement farfelus, comme le Dieu est un fumeur de havanes de Serge Gainsbourg. Bref, Dieu est aussi dépendant des modes.

Quand l’un ou l’autre se hasarde à ouvrir une brèche, d’autres peuvent s’y engouffrer. Récemment, quelques artistes comme Kendji Girac (gitan évangélique et gagnant de The Voice) ne cachent pas leur engagement chrétien. Une nouveauté de cette décade consiste dans la percée de quelques figures notamment catholiques : le groupe Les Prêtres, Grégory Turpin, mais aussi du côté protestant Matt Marvane ou encore quelques figures des Académies télévisuelles de musique, comme Emmanuel Djob, l’ancien leader des Black and White Gospel Singers. Cette nouveauté augure, plus qu’une résurgence de chansons explicitement ou objectivement chrétiennes, l’arrivée de chanteurs et donc de chansons qui s’assument comme paisiblement acquis aux réalités de la foi et de la prière, pouvant chanter un amour qui ne soit pas toujours érotique, par exemple.

Double lecture

Parler de Dieu c’est prendre le risque d’être pris peut-être pour un fou ou un illuminé. Mais certains s’y sont hasardés sans nécessairement compromettre leur carrière. Au chapitre des chants drôles ou stimulants, vous pouvez écouter sur internet le Dieubouddhallah des Wriggles, très iconoclaste et un peu trop vulgaire peut-être pour certains publics, ou encore Le jardinier dort de Charlélie Couture, Simples d’esprit de Sinsemilla, sans oublier l’incontournable (mais effrayant à bien y regarder) de Michel Polnareff : On ira tous au Paradis.

Dans cette grande diversité, il faut garder un œil sur les Écritures bibliques et l’autre sur le livret des paroles de ces albums. Vous pourrez allègrement jouer au jeu des sept erreurs tellement la majorité de ces chansons évoquant Dieu, nous parlent d’un dieu tout autre que celui révélé dans la Bible. La palme, peut-être parmi les plus lisibles, revient au rappeur Stomy Bugsy dans J’prie Dieu : J’prie Dieu, quand j’suis dans la merde/Il le sait, alors il m’laisse dedans