Alors que les festivals d’été sont annulés, nombre d’organisateurs font part de leur désarroi.

Oh les beaux jours…Aux parois des abbayes, des temples et des châteaux, se projetaient la silhouette sage des pupitres, le vol des archets, l’image du bonheur. Cela vous donnait le cœur à l’ouvrage, mélangeai -cocktail d’été- science et plaisir, découverte et familiarité. Depuis combien de temps les festivals de musique, en France, existent-ils? « Quand on aime, on ne compte pas » dit l’adage. Parlons de quelques décennies : les prestigieuses rencontres d’Aix-en Provence ont vu le jour en 1948, Alain Paquier fit naître les concerts de musique ancienne à Saintes en 1972, on en passe et des charmants, des secrets, des manifestations de villages attirant des estivants timides. Aujourd’hui, tout est par terre ou presque. Un effondrement qui frappe aussi le théâtre et la danse. En dépit du plan d’action concocté par Emmanuel Macron, la perspective de voir les festivals revivre semble hypothétique.

«Le sentiment qui domine est la frustration, nous explique Jean-Michel Verneiges, directeur de l’Association pour le Développement des Activités Musicales dans l’Aisne (ADAMA). Le 34ème festival de Saint-Michel-En Thiérache devait se dérouler du 7 juin au 7 juillet, nous avions travaillé pendant des mois, et nous sommes obligés de le rayer d’un trait de plume. C’est rageant. » Comme son confrère des Hauts-de-France, David Théodoridès parle d’un désastre culturel et humain : « J’ai longtemps espéré maintenir la trentième édition du festival Sinfonia en Périgord parce qu’elle devait se dérouler, comme chaque année, à la fin mois d’août. Plusieurs arguments m’ont conduit à choisir l’annulation. D’abord, le festival est pour l’essentiel composé de vacanciers ; or nous savons que le tourisme cette année sera très limité, même à l’intérieur de nos frontières. Ensuite, je dois préserver les moyens que nous mettons en œuvre pour proposer, tout au long de l’année, des concerts à Périgueux. Dernier élément, et non des moindres, les pouvoirs publics nous laissent dans un brouillard que les déclarations présidentielles sont loin d’avoir levé.»

Certaines manifestations musicales ont pu être maintenues, mais dans des conditions délicates. C’est le cas du festival Tons voisins, que le pianiste Denis Pascal dirige à Albi. « Dès le début de la pandémie, je me suis battu pour sauver ce qui pouvait l’être, persuadé qu’il faudrait bien reprendre le chemin des salles de concert un jour ou l’autre, déclare-t-il. Aidés par la mairie, bénéficiant du fait que notre festival accueille un public régional, enfin profitant de la jauge du Grand théâtre de la ville, qui autorise un accueil conforme aux précautions sanitaires actuelles, nous avons pu déplacer la tenue des concerts au début du mois de septembre. Je sais bien cependant que tout cela reste fragile. »

Les artistes et les organisateurs de festival ne se comportent pas comme des enfants gâtés. Ils savent que toute la société souffre. « C’est une catastrophe qu’il faut mettre en perspective avec la situation générale du pays, reconnaît Jean-Michel Verneiges. Nous devons penser à tous les Français menacés de chômage de longue durée. Mais il faut rappeler, puisque la notion de rentabilité s’invite à chaque instant dans les débats de notre temps, que ce ne sont pas seulement des institutions culturelles qui voient leur existence mise en péril, mais un écosystème. »

Une prospérité plus large

Faut-il encore et encore le dire ? Un festival de musique (ou de danse, ou de théâtre) ne fait pas vivre que des artistes. Il contribue à la prospérité des hôtels, des restaurants, participe au rayonnement économique d’une commune, d’un département, d’une région. Nombre d’élus, de toutes les familles politiques, en sont conscients. Xavier Bertrand, président des Hauts de France, ne manque jamais de rappeler que la culture nourrit le territoire en profondeur.

Emmanuel Macron, mercredi dernier, a promis que les droits des artistes et techniciens intermittents seront prolongés d’une année au-delà des 6 mois où leur activité aura été impossible ou très dégradée, soit jusqu’à la fin du mois d’août 2021. Cette décision a été unanimement saluée comme positive. En revanche, les propositions qui l’ont accompagnée laissent perplexes les professionnels du secteur. « J’ai besoin de gens qui savent inventer pour nos jeunes, a dit le président. Des millions d’enfants et d’adolescents ne pourront pas partir en vacances ; les jeunes issus de l’immigration ne pourront pas rentrer au pays. Après cet effort énorme du confinement, ils ne retrouveront pas cette respiration. Il nous faut réinventer notre été et en faire un été apprenant et culturel ». Outre la façon dont le chef de l’État parle du « pays » de jeunes Français, chacun a pu s’étonner que l’implication des artistes en milieu scolaire soit présentée comme une révolution.

« Nous n’avons pas attendu le mois de mai 2020 pour faire œuvre pédagogique, observe Jean-Michel Verneiges. D’ailleurs, les pouvoirs publics subordonnent toujours leurs subventions à ce type d’engagement. » Un point de vue partagé par David Théodoridès, pour qui la vocation des musiciens ne saurait être confondue avec celle des enseignants: « Que les artistes invitent le jeune public à découvrir la musique classique, c’est très bien et, à Périgueux, nous les encourageons à le faire depuis longtemps. Mais il ne faudrait qu’ils soient utilisés pour combler le manque de professeurs ou les horaires aménagés dans les écoles. » Faut-il incriminer la fatigue présidentielle? « On est sidéré d’entendre Emmanuel Macron user du langage de dossier administratif rédigé à la va-vite, rempli de tous les lieux communs consommables, déplore Denis Pascal. Aller chercher ce que l’on appelle des « publics empêchés », c’est le credo de tous les festivals, de la plupart des artistes et de tous les orchestres depuis près de quarante ans ! Qu’Emmanuel Macron confonde la pratique de l’art avec une vraie politique culturelle est stupéfiant. »

On ne peut exclure que le Président cherche à éviter une compétition de revendications catégorielles. En présentant l’implication des artistes en milieu scolaire comme une contrepartie de l’aide que l’État leur apporte, il espère peut-être calmer l’éventuelle jalousie de nos concitoyens. Mais la manière dont il s’y prend pourrait se retourner contre lui, tant la culture fait partie du patrimoine collectif.

Alors que s’annonce la fin progressive du confinement, le trio George Sand offre une ponctuation délicieuse. Anne-Lise Gastaldi, pianiste et protestante, en est l’animatrice. Oh les beaux jours… à venir !