Les images et les mots, deux mondes qui se croisent à la semblance des jambes d’une femme, aperçues depuis le soupirail où Jean-Louis Trintignant se trouve confiné. « Vivement Dimanche ! »… Un peu, beaucoup, passionnément, François Truffaut toute sa vie rédigea des lettres à des amis, des inconnus, mais encore à des personnages d’importance auxquels, chevalier sans peur, il osait dire leur fait. La publication de « François Truffaut, correspondance avec des écrivains » (Gallimard 522 p. 24 €) nous donne à espérer dans un monde meilleur et nous confirme l’attachement profond que le metteur en scène entretenait avec la littérature.
« Si je savais écrire, je ne ferais pas le singe derrière la grosse Mitchell 300 », proclame-t-il en 1968 à Serge Rezvani. Quelques années plus tard, il dit à François-Régis Bastide :
« Je ne me sens pas obligé nécessairement de me raconter dans les films, mais, tout de même, lorsqu’il s’agit de quelque chose d’aussi intime, j’ai besoin de sentir des racines plus profondes entre l’auteur du livre (ou son personnage) et moi, pour pouvoir travailler avec précision et sans bluff. »
Entendez-vous la musique des mots, le fluide, ce qui jamais ne pèse et dit pourtant l’essentiel ? On l’a deviné, François Truffaut écrivait des lettres, comme il inventait des scènes et des séquences. Et la fantaisie qui l’animait se retrouve au coin des mots. « Pas de temps morts » fera-t-il dire à son personnage dans « La nuit américaine » à propos des films. Eh bien nous y sommes aussi quand nous lisons ses lettres. Le 12 juillet 1959, il envoie cette missive à mademoiselle de Vilmorin :
« Voici, ma reine Chère Louise, les raisons :
1/ De ma dérobade dans « l’affaire » Woog-Bernheim
2/ De mon admiration pour le grand écrivain que vous êtes,
à bientôt
bons baisers
Lu et approuvé
Bon pour accord du cœur. »
Jamais peut-être le terme de correspondance n’a pris son sens qu’avec Truffaut. Cela sans doute explique la manière dont il adaptait les romans. Le didactisme n’étant pas son genre il n’usait pas du procédé de la transposition, du résumé qui permet les trahisons. Projetant son imaginaire dans les intentions de l’auteur, il restait fidèle au roman d’origine tout en glissant sa patte entre les lignes du récit.
« J’ai expliqué que Tirez sur le pianiste (le film) n’était pas une parodie de cinéma américain, mais un hommage respectueux en forme de pastiche, écrit-il à Marcel Duhamel au sujet de Goodis. J’ai ajouté que j’avais aimé le cinéma américain comme une drogue au point d’inclure dans cet amour le style de la synchronisation française. »
Cette méthode l’entraîne lui-même à se laisser surprendre : à l’écrivain-poète Jean Mambrino, voici ce qu’il écrit le 28 octobre 1961 :
« Jules et Jim m’a véritablement épuisé. C’est la troisième fois que cela m’arrive : commencer un film en imaginant qu’il sera amusant et m’apercevoir en cours de route qu’il n’est sauvable que par la tristesse. »
En lisant cet ouvrage, on rit souvent. Le non-dit n’échappe guère à Truffaut. Quand Paul Guth, usant de l’appui de Bourvil, lui dit le plus grand bien de son propre livre, « Le Naïf », il ne répond pas. L’anti-conventionnel s’invite en revanche à tout bout de champ dans le volume. Avec Jacques Audiberti, dramaturge, écrivain, poète, avec Jean Cocteau bien sûr, présence paternelle et fidèle.
On aura compris que Truffaut nous aide à soutenir les temps difficiles d’aujourd’hui. L’enfant maltraité par sa mère, ou plutôt selon ses propres dires, « pas traité du tout », savait le coût des failles intimes et la beauté de l’amour.