Une façon pour lui de dresser une nouvelle fois un tableau sans concession de notre société en pointant la terrible violence sociale qui s’y manifeste.

Daniel sort de prison où il était incarcéré depuis de longues années et retourne à Marseille. Sylvie, son ex-femme, l’a prévenu qu’il était grand-père : leur fille Mathilda vient de donner naissance à une petite Gloria. Le temps a passé, chacun a fait ou refait sa vie… En venant à la rencontre du bébé, Daniel découvre une famille recomposée qui lutte par tous les moyens pour rester debout. Quand un coup du sort fait voler en éclat ce fragile équilibre, Daniel, qui n’a plus rien à perdre, va tout tenter pour les aider.

Une grande partie de l’œuvre de Guédiguian consiste en des drames intimes à caractère politique, en travaillant avec une même habituelle troupe d’acteurs (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan). Et une partie du plaisir pour le spectateur réside précisément dans la manière dont il utilise les mêmes acteurs dans des permutations et des contextes politiques très différents, comme c’est le cas, par exemple, avec Jean-Pierre Darroussin, qui jouait un intellectuel cynique de droite dans le dernier film de Guédiguian, La Villa, qui revient maintenant dans Gloria Mundi à un rôle plus familier, celui de Richard, ouvrier bienveillant confronté à des moments familiaux difficiles. Gloria Mundi offre aussi un rôle magnifique à Ariane Ascaride qui s’est vu récompensée par la Coupe Volpi de la Meilleure actrice au dernier Festival de Venise où le film fut plébiscité.

Des moments familiaux difficiles… cette expression définit justement très certainement Gloria Mundi ; un portrait pessimiste mais pas désespérant d’un monde dans lequel les valeurs morales et les liens personnels sont brutalement dévalorisés, même si l’espoir d’une rédemption possible prévaut toujours. Une différence notable avec les derniers Ken Loach (avec qui les similitudes sont nombreuses) mais où l’espérance semble avoir pratiquement disparue. Guédiguian est un vrai conteur d’histoire et Gloria Mundipourrait facilement passer pour un simple nouvel exercice du genre. Mais la distribution, l’interprétation collective et individuelle remarquable, la façon dont chaque personnage est joué avec une précision absolue et sans détails superflus apporte une puissante clarté parabolique. Car pour Guédiguian il est fondamental d’être compris, du moins en tout cas, que son travail suscite la réflexion. Il l’explique ainsi : « Pour chaque séquence, il s’agit d’être à la fois assez près pour que le spectateur puisse avoir une réaction émotionnelle face à ce qu’on lui montre et assez loin pour lui permettre de problématiser cette émotion. L’essentiel n’est pas d’émouvoir, mais de faire réfléchir à la raison pour laquelle on a été ému ».

Gloria Mundi commence avec la naissance d’un bébé, bientôt nommé Gloria. Ce bébé représente l’espoir pour l’avenir, quand le passé et le présent sont si souillés. Elle est une figure fédératrice qui donne au film son titre évangélique. Autour du bébé, se pressent les membres d’une famille recomposée, désunie, bricolée à partir des aléas de l’existence. Ses parents sont un couple marseillais ouvrier, Nicolas (Robinson Stévenin) et Mathilda (Anaïs Demoustier) qui elle-même est la fille de Sylvie (Ariane Ascaride) qui travaille dur comme femme de ménage. Sylvie vit aujourd’hui avec un chauffeur de bus prénommé Richard (Darroussin), avec qui elle a eu une seconde fille, Aurore (Lola Naymark), tandis que Mathilda a un père qu’elle n’a jamais connu – Daniel (Gérard Meylan) qui, en prison depuis des décennies est devenu un solitaire philosophe, qui a gardé sa santé mentale au fil des ans en écrivant des haïkus. Les difficultés s’amoncèlent pour tout ce petit monde, tandis, qu’à l’inverse, la vie est très confortable pour Aurore et son partenaire Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet), qui tiennent un magasin d’occasion, achetant des biens bon marché à des personnes financièrement désespérées et les revendant avec un joli profit. Le couple est un peu la caricature de capitalistes cyniques qui se vantent de leur bonne fortune, se moquent des « loosers » et, dans leur vie-privée, abusent de cocaïne, réalisent des sextapes, et se baignent dans les mensonges et trahisons…

Pour revenir au lien entre Guédiguian et Loach, on retrouve ici exposées les mêmes dures réalités de cette nouvelle économie de l’emploi, ce règne de l’ubérisation. C’est aussi très loachien dans la mesure où la réalité économique et les changements d’attitude sociale rendent inévitablement la vie plus difficile pour les travailleurs honnêtes et ont souvent également des conséquences dans les relations familiales. Chronique sociale engagée Gloria Mundi raconte ainsi ce délabrement de l’entraide et gravite autour de la transmission des valeurs. Dans cette démarche apparaissent un certain nombre de motifs récurrents qui habitent le cinéma politique du metteur en scène comme la lutte des classes, la vie de famille, ou encore le constat d’échec personnel. C’est l’explosion de tous les liens sociaux finalement et particulièrement ceux du couple et de la famille qui apparaissent dans ce scénario. Cette histoire, dans laquelle chacun tente de tenir le cap, est née d’« une espèce de colère contre le monde dans lequel on vit, contre cet individualisme forcené et cette idée que les seuls rapports qui existent entre les gens sont des rapports d’intérêt, d’argent », avait expliqué Robert Guédiguian à l’AFP à Venise début septembre. « Je voulais faire une sorte de constat de l’état de guerre dans lequel on est, de tous contre tous », ajoutait-il. Le cinéaste poursuit donc son combat ayant déjà proposé des versions de ce scénario à de nombreuses reprises, la dernière fois – et de façon plus subtile – dans Les Neiges du Kilimandjaro. Il revient ici à un récit plus schématique, libre du ton contemplatif et de la nuance de caractère de La Villa, ce qui le rapproche – délibérément, semble-t-il – des termes volontairement simplifiés de romanciers du XIXe siècle comme Balzac ou Hugo.

Il est intéressant aussi de noter qu’ici les apparences ne disent pas forcément tout. Ainsi, le personnage de Daniel, ce sortant de prison que la société a bien du mal à réintégrer, est celui qui pose le plus juste regard. Pour Guédiguian « sa longue absence lui a paradoxalement conféré la capacité de cerner son environnement avec une forme de lucidité ». Il mesure en effet d’emblée l’évolution des comportements et le délabrement de certaines valeurs. Cependant, il n’est pas dans le jugement, plutôt dans la compassion. Daniel ne regarde pas ces gens comme des coupables, mais comme des aliénés. Et par là-même nous invite à en faire de même. Avec lui et cette petite Gloria, ce sont des fenêtres d’espérance qui s’ouvrent face à la fatalité du destin. Malgré l’accumulation de circonstances économiques, sociales, familiales condamnant cette enfant, la décision d’un seul homme pourrait-elle changer son existence ?

Toujours appréciable chez Guédiguian également, le travail sur l’image en simplicité, discrétion, mais surtout évidence de son fidèle collaborateur Pierre Milon qui permet de mettre en valeur l’essence des personnages tout en cartographiant les dernières transformations de la ville de Marseille, le décor toujours présent du cinéaste au fil des ans. L’utilisation de la musique classique – notamment de Ravel – et l’implication du compositeur français d’origine arménienne Michel Petrossian, apportent enfin une dose de poésie supplémentaire au drame.

Une œuvre forte, certes noire, mais d’où peuvent être perçues quelques rayons de lumière tant dans l’attitude de certains personnages que dans la présence silencieuse de ce bébé. Un film pour parler de notre monde, pour nous donner d’y réfléchir et, comme sans doute le titre le rappelle, nous offrir une parole d’une infinie sagesse pour rappeler la nécessaire humilité… car, ainsi passe la gloire du monde !