À 69 ans, l’artiste et producteur québécois Daniel Lanois, vient de sortir son nouvel album Heavy Sun, avec un désir clairement exprimé : remonter le moral des gens par sa musique, comme un outil de résilience. Mission accomplie et même bien au-delà car nous avons ici une vraie pépite artistique dans un trip space-gospel imprégnée d’une intense ferveur spirituelle, tempérée par des rythmes reggae, des touches d’électronique, des textures riches et l’engagement profond de tous les participants.

Qu’il s’agisse de créer des disques d’ambiance avec Brian Eno, d’écrire l’histoire du rock and roll avec U2 et Peter Gabriel, de creuser les racines américaines avec Bob Dylan et Emmylou Harris, de composer la musique de films primés aux Oscars et de jeux vidéo à succès, ou (parfois quand même) de composer sa propre musique solo, Daniel Lanois, lauréat de 11 Grammy Awards, a toujours semblé se réinventer avec une facilité déconcertante, à la manière d’un véritable caméléon du son. Si Lanois est surtout connu pour son travail de production sur des albums qui ont marqué notre époque, comme Joshua Tree, Wrecking Ball et Time Out Of Mind, il a en fait grandi avec des disques de gospel où l’orgue plantait le décor et il a fait ses premières armes avec une guitare slide et un home studio improvisé à Hamilton, en Ontario, dans les années 1970 en enregistrant notamment des quatuors vocaux chrétiens en tournée. Au cours des décennies suivantes, Lanois est devenu l’un des gourous de studio les plus acclamés de l’ère moderne (le mag Rolling Stone a même déclaré que ses « empreintes incomparables recouvrent une aile entière du Rock and Roll Hall of Fame »), ainsi qu’un artiste solo prolifique, mais son amour de la musique black & soul et ces racines ne l’ont jamais quitté.

Enregistré à Los Angeles et à Toronto, Heavy Sun fusionne le gospel classique et l’électronique moderne, mélangeant des textures humaines et granuleuses avec des accents numériques nets et des atmosphères tourbillonnantes pour créer un son à la fois chaleureusement familier et audacieusement inattendu. Les arrangements sont à la fois simples et extrêmement raffinés, ancrés par un orgue riche et puissant et, souvent, baignés d’une harmonie à quatre voix envoûtante. L’écriture est dynamique et surtout pleine d’âme, puisant dans l’incertitude partagée de la condition humaine pour offrir espérance, réconfort et connexion à une époque où ces trois éléments sont désespérément trop rares.

Cet esprit communautaire est d’ailleurs ici pleinement affiché, Lanois et ses comparses du Heavy Sun Orchestra – le guitariste/chanteur Rocco DeLuca, l’organiste/chanteur Johnny Shepherd, et le bassiste/chanteur Jim Wilson – faisant preuve d’une chimie indéniable et d’un appétit sans limite pour les découvertes sonores qui dépassent de loin l’influence de chaque membre individuellement. Certains morceaux commencent avec Shepherd seul à l’orgue, comme s’il emmenait le reste du groupe à l’Église comme il l’a d’ailleurs concrètement fait pendant des années à la Zion Baptist Church de Shreveport. C’est d’ailleurs là-bas, en Louisiane, que Daniel et Johnny se sont rencontrés. « Je suis de temps en temps guitariste au sein de Hallelujah Train, un groupe dirigé par le pasteur Brady Blade de Shreveport. C’est là que j’ai rencontré Johnny et je me suis dit : « Quel talent ! », raconte le producteur québécois. Nous l’appelons notre hymnologue. Comme chef de chœur, il a une réelle compréhension des hymnes. Il était capable de nous guider à travers les harmonies. Il avait une règle simple : Chaque chanson doit avoir un bon message. »

Et puis, d’autres titres commencent avec une mélodie ou un simple groove joué sur une beatbox vintage. Tandis que Lanois se plongeait dans le travail de production, découpant la matière première et extrayant des échantillons qu’il pouvait réintégrer dans les arrangements, DeLuca (un artiste solo vénéré) était souvent à l’arrière du studio avec le reste du groupe, élaborant des paroles autour de messages inspirants imprégnés d’esprit communautaire et de résilience. À ce propos, Lannois insiste sur son intérêt pour les hymnes spirituels : « J’adore ces morceaux. Ils sont très mélodiques et souvent très simples et ils touchent le cœur des gens. Les hymnes sont si anciens. Ils ont un véritable petit champ de bataille en eux. Ils parlent de gloire, d’espoir, de mariage, d’enterrement. Ils ont tout ce que nous rencontrons dans la vie. Ils ont tous un petit quelque chose en eux qui suggère la congrégation et, « Contre vents et marées, nous continuerons ! Nous poursuivrons ! » J’ai toujours aimé ce genre de mélodies et cantiques. »

« Notre objectif était de faire tout simplement du bien avec ces chansons », explique Lanois. « Nous voulions rappeler aux gens de ne pas laisser la situation actuelle voler leur joie. Leur rappeler que même pendant une pandémie mondiale, il est de notre responsabilité de protéger nos esprits et de trouver des moyens pour continuer à danser, de continuer à chanter, de continuer à enseigner, transmettre… et surtout de continuer à aimer. » Et pour cela, rien de tel que l’Église dans la pensée de Lanois et de ses collègues musiciens. Si Daniel a grandi dans la foi catholique, c’est la musique qui l’a ramené au sein d’une communauté chrétienne, cette fois-ci protestante. L’un de ses amis musiciens avec lequel il joue très souvent, le batteur Brian Blade, connu notamment dans le monde du jazz pour avoir joué avec Herbie Hancock, Chick Corea et Wayne Shorter, est le fils du pasteur de l’Église baptiste Zion de Shreveport (déjà évoquée avec Johnny Shepherd). C’est là que Brian a appris à jouer de la batterie, pour accompagner la chorale. Daniel s’est ainsi retrouvé invité à y jouer régulièrement. « C’est si agréable d’être en présence de ce genre de chants et en présence du pasteur lui-même. C’est aussi un chanteur rugissant, une grande et belle voix ! Et c’est de tout cela que vient une grande partie de ce que nous avons fait avec cet album » reconnait-il.

Avec Heavy Sun, Daniel Lanois et les membres du groupe, veulent, disent-ils, participer à construire une « Église sans murs ». « Le message de l’Église peut et doit vivre aussi en dehors des murs de l’Église, explique-t-il. Porter ce message de la Bonne Nouvelle pour le monde nous offrant de vivre mieux et de traverser la souffrance et les tempêtes, sans les « dorures » et l’édifice. Je pense que cela convient à notre époque et je crois, qu’en tant que musiciens, nous avons la responsabilité d’élever l’esprit » ajoute le chanteur. Ce désir que tous ceux qui écouteront l’album ou quitteront un spectacle (quand cela sera à nouveau possible) puisse se sentir élevé d’une certaine manière et peut-être avec le désir de mener une meilleure vie et être une meilleure personne.

Voilà, vous n’avez plus qu’à tenter l’expérience… car j’ai comme l’impression qu’Heavy Sun a en lui cette véritable capacité à nous donner d’expérimenter, en effet, un peu de ce que la foi peu faire naître dans le cœur de l’homme.