Heureux les fêlés, deuxième film du réalisateur Robert Coudray, qui n’en est pas un vraiment. Du moins de la façon dont on l’imagine classiquement car, dans sa bio, vous trouverez aussi apiculteur, agriculteur, tailleur de pierre, photographe, constructeur de chars de carnavals, professeur de technologie, gérant de biocoop, cidrier, crêpier… Et c’est là que tout commence en fait et que l’histoire s’écrit.

Producteur de cidre, Alex semble s’être résigné à une vie simple d’artisan. Sa rencontre avec Eva lui permet de renouer avec son rêve tenace de faire du cinéma, enfoui à la suite de plusieurs échecs. Avec des compagnons d’infortune, ils relèvent un défi improbable, qui conduit Alex dans une aventure chaotique et lumineuse dont les obstacles réveilleront doutes et démons.

Parfois quand on est journaliste, il faut juste laisser parler le protagoniste, celui qui est au cœur de votre papier. Et là, en l’occurrence, il s’agit de Robert Coudray, le réalisateur du film Heureux les fêlés – « poète ferrailleur » comme il se définit d’abord, touche-à-tout génial, entrepreneur autodidacte et surtout artiste dans l’âme.

Quand on lui demande quelles sont les sensations qu’il aimerait faire passer aux spectateurs, il résume l’intérêt de son film ainsi : « On vivote nos vies, on lâche si vite nos aspirations. Et si un jour on se déroutait, si on laissait en nous murmurer nos profonds désirs, et si on les laissait nous embarquer, réveiller notre audace, nous risquer dans un peu plus large… ça ferait quoi ? C’est ce qui est raconté dans Heureux les fêlés, à travers ce personnage qui a largué ses illusions et ses rêves intimes mais un beau jour il se réveille, pas très assuré il reprend sa monture de rêveur et le voilà en route. Ça n’a rien d’un conte de fée parce que le bonhomme, il va devoir affronter ses démons et ça frôlera la catastrophe, le déni et pire encore. Mais le funambule traverse. Le propos est universel. Je le raconte avec une part de mon vécu et je le romance aussi, mais ce qui m’intéresse c’est de laisser au spectateur une trace d’envie de funambuler sa vie. C’est comme ça qu’on embellira le monde. ». Laisser au spectateur une trace d’envie de funambuler sa vie !… C’est exactement ça, cette poésie et cette dynamique de vie qui se dégage merveilleusement de ces quelques 1h30 d’histoire simple, belle, émouvante, joyeuse, épique (et ça pourrait continuer encore et encore…).

Une histoire de fêlés certes, qui nous ressemblent tous un peu quand même, ou qui devraient nous ressembler davantage sans doute.

Robert Coudray est bien connu dans le Morbihan en Bretagne pour les œuvres spectaculaires qu’il réalise. Son parc à Lisio attire chaque année environ 60 000 personnes. Aussi, que ce soit pour ce film ou son précédent Je ne demande pas la Lune (totalement autofinancé et qui avait fait l’exploit de dépasser 42 000 entrées salles et projections diverses et 9 000 dvds vendus, sans noms connus), il a réussi à mobiliser des centaines de personnes de sa région pour participer à leurs réalisations. Cette fois-ci, des professionnels se sont ajoutés, mais des personnes comme vous et moi sont aussi une nouvelle fois de la partie et développent une forme d’authenticité absolument remarquable.

Mais ne croyez pas que vous irez voir un film chaotique aux imperfections éclatantes. Heureux les fêlés est de surcroit extrêmement bien filmé, avec une très belle photo, une bonne réalisation, un montage efficace et une BO tout à fait impeccable.

Laurent Voiturin dans le rôle d’Alex et Myriam Ingrao dans celui d’Eva (une dessinatrice sculptrice bretonne qui devient ici actrice… avec un petit air de Vanessa bien sympathique) tiennent les choses bien solidement et toute la bande semble se laisse porter, comme le dit si joliment François (Jean Kergrist) le curé défroqué, marginal vivant en ermite, sur les ailes des anges, et nous emporter avec eux dans un rêve qui devient réalité, dans une folie jubilatoire qui fait du bien à l’âme.

BienHeureux les fêlés… car ils laisseront passer la lumière. Jamais la citation souvent attribuée à Audiard (mais sans source vérifiée) – sublime contrefaçon d’une des béatitudes – n’a fait autant sens. Alors laissez-vous éclairer… filez vite en salles vous faire contaminer par ce doux et nourrissant faisceau qui, dans la période assez sombre, est d’utilité publique ! Freddy la déglingue et toute sa clique mérite que le bouche à oreille fonctionne à fond la caisse, croyez-moi.