Célébré en Suisse le troisième dimanche de septembre (à l’exception du canton de Genève qui a son propre jour du jeûne deux semaines plus tôt), le Jeûne fédéral est une fête religieuse célébrée à la fois dans les cantons de culture catholique et les cantons historiquement protestants. Cette célébration est l’occasion de marquer une pause et de vivre symboliquement un moment de pause national. Mais quelle est la signification de cette « pause » durant laquelle plus personne ne jeûne vraiment ?

Instaurée au 17e siècle lors de temps de crise, cette journée appelait à l’unité dans la prière et la reconnaissance, au-delà des clivages individuels, cantonaux ou religieux. Ce jour de repos, inscrit ensuite dans la Constitution suisse, s’est pourtant transformé puisqu’aujourd’hui, un grand nombre de restaurants proposent – paradoxalement – un « menu spécial Jeûne ».

La fête pour se souvenir

Ce jour s’ancre dans une tradition biblique où la mémoire nourrit la gratitude et où la gratitude ravive la mémoire. « Souviens-toi », rappelle la Bible à de nombreuses reprises, comme un fil rouge entre les générations, note Doris Lévi Alvarès, art-thérapeute et conférencière.

Loin d’une construction sociale ou d’un calendrier administratif, les fêtes bibliques – dont les principales sont Pâques, Pentecôte, et la fête juive des Tabernacles (Souccot) – proviennent d’un autre registre : « C’est Dieu lui-même qui, dans la tradition biblique, établit ces fêtes pour nous inviter à nous souvenir [de ses bénédictions] et à vivre la reconnaissance. »

Dieu a le cœur en fête

« La pratique de la gratitude a montré qu’elle réduit le stress et l’anxiété, et améliore l’humeur, le sommeil, voire les relations humaines », explique Alex Korb, neuroscientifique de l’université de Californie. Ne pourrait-on pas se demander si ce Dieu, qui souhaite que les humains mettent la gratitude en pratique, n’avait pas simplement devancé ce que les neurosciences n’ont que récemment découvert ? Serait-ce parce que ce Dieu connaît notre cerveau et sait que dire merci « reconfigure » notre esprit ? Les fêtes comme Pâques, le Jeûne fédéral, Thanksgiving et Noël seraient alors des remèdes neuropsychologiques vivants, capables de guérir nos mémoires blessées et d’unir nos cœurs.

En effet, les fêtes bibliques et les initiatives plus récentes telles que le Jeûne fédéral rappellent ceci: vivre la reconnaissance, c’est cesser de croire que tout dépend de nous. C’est se prédisposer à un intervention extérieure, divine. Et si, cette année, le Jeûne fédéral redevenait ce qu’il n’a jamais cessé d’être ? Un moment pour se souvenir, pour remercier et pour faire place à celui qui pourvoit.

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Zoom sur le Jeûne féféral

Quand tout un peuple se tourne vers Dieu

L’origine du Jeûne fédéral remonte aux périodes troublées par les guerres, les famines ou les épidémies du 16e et du 17e siècle. A cette époque, des jours de jeûne étaient prescrits par les autorités civiles et religieuses pour des cas spéciaux ou simplement pour remercier Dieu de sa protection. Cette pratique s’enracine dans la tradition chrétienne du repentir collectif, inspirée notamment par ce passage de la Bible : « Si alors mon peuple qui est appelé de mon nom s’humilie, prie et recherche ma grâce, s’il se détourne de sa mauvaise conduite, moi, je l’écouterai du ciel, je lui pardonnerai ses péchés et je guérirai son pays » (2Chroniques, chapitre 7, verset 14).

Une prise de position

En 1572, après la nuit de la Saint-Barthélemy à Paris, des prières sont organisées à Zurich pour les huguenots (protestants réformés français) persécutés. Dès 1619, une première journée commune de jeûne et de prière des cantons réformés a eu lieu après le synode de Dordrecht, pour « rendre grâce à [remercier] Dieu » pour l’unité des chrétiens réformés. En 1643, les cantons catholiques instaurent à leur tour une journée de jeûne et de prière sans toutefois que cette date coïncide avec celle des cantons réformés. En 1796, face à la menace révolutionnaire, la Diète fédérale établit un jour de jeûne pour l’ensemble du pays, mais ce n’est qu’en 1832 que la Diète fixe un jour précis pour cette célébration : le troisième dimanche de septembre, accepté par tous les cantons (à l’exception des Grisons jusqu’en 1848 et de Genève encore aujourd’hui, qui a son propre jeûne deux semaines avant le Jeûne fédéral).

Quelle pertinence dans un pays sécularisé ?

Aujourd’hui, si la dimension religieuse laisse place à une signification plus laïque ou sociale, la journée conserve sa portée morale: celle d’une réflexion collective sur les valeurs fondamentales de solidarité, de responsabilité et de cohésion nationale.

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