Cecilia Kass est en couple avec un brillant et riche scientifique. Ne supportant plus son comportement violent et tyrannique, elle prend la fuite une nuit et se réfugie auprès de sa sœur, leur ami d’enfance et sa fille adolescente. Mais quand l’homme se suicide en laissant à Cecilia une part importante de son immense fortune, celle-ci commence à se demander s’il est réellement mort. Tandis qu’une série de coïncidences inquiétantes menace la vie des êtres qu’elle aime, Cecilia cherche désespérément à prouver qu’elle est traquée par un homme que nul ne peut voir. Peu à peu, elle a le sentiment que sa raison vacille…

La version originale, écrite par H.G. Wells il y a plus d’un siècle, suit un inventeur qui développe un moyen de devenir invisible – mais qui devient ensuite fou à cause de cela.  L’homme invisible a été développé pour la première fois à l’écran en 1933 par Universal et a mis en vedette Claude Rains en restant assez proche de l’histoire originale, la folie le conduisant jusqu’à des tendances meurtrières. La série tv qui l’a ensuite popularisée, dans le milieu des années 70, en a fait une histoire de pseudo-espionnage sympathique mais sans grande envergure… L’homme invisible a connu de nombreuses suites et réimaginations au fil des ans, mais le concept n’avait pas été exploré depuis un certain temps. Dans cette nouvelle version, le réalisateur et scénariste australien Leigh Whannell retourne à la thématique de la folie, mais en la transférant, en apparence du moins, à un autre personnage : Cecilia Kass (Elisabeth Moss), la femme psychologiquement abusée d’Adrian Griffin (Oliver Jackson-Cohen), un scientifique spécialisé dans l’optique. Et son originalité vient, sans aucun doute, du fait de raconter la situation du point de vue de la victime, qui se trouve être cette femme. À l’ère de #MeToo, c’est une idée foncièrement intelligente, même s’il serait réducteur de dire qu’Invisible Man est une réponse cinématographique à ce mouvement, mais soyons réalistes, l’impact du film est d’autant plus fort que l’actualité est présente. Harvey Weinstein vient d’être reconnu coupable de viol et d’agression sexuelle cette semaine, c’est un sujet extrêmement important en constante évolution, et le film a donc ainsi un sérieux poids thématique.

L’horreur, plus que tout autre genre, semble-t-il, est directement liée à l’actualité. Il doit en être ainsi – nos peurs changent et évoluent, même si ces instincts de base restent les mêmes. Nos monstres peuvent avoir des costumes différents et plus contemporains, mais ils restent sont toujours des monstres. Invisible Man, comme beaucoup d’autres films d’horreur de Blumhouse Productions ces dernières années, a bien compris cet enjeu : les meilleurs films d’horreur nous effraient précisément parce qu’ils commentent aussi l’époque. Si nous pouvons nous tendre, sursauter sur notre fauteuil, crier et en même temps nous amuser, les vraies horreurs, celles qui ne disparaissent pas quand les lumières se rallument, sont juste devant les portes du cinéma. Elles attendent… Ces monstres exploitent une norme sociétale systémique qui permet au monstre d’être un monstre, et non quelque chose qui peut être facilement écarté. C’est pourquoi des films comme Get Out et Invisible Man sont si efficaces. Le scénariste/réalisateur Leigh Whannell (Saw, Insidious…) parvient ainsi à prendre ce roman de H.G. Wells vieux de plus d’un siècle et à lui donner un caractère d’urgence et de vraisemblance. L’adaptation de l’histoire à un contexte contemporain joue incroyablement bien en sa faveur. Cécilia agissant comme la survivante d’abus extrêmes et de violences en tous genres (émotionnelles, psychologiques et physiques) par son mari, qualifié dans le film notamment de pervers narcissique, voit ensuite sa parole être rejetée, et finalement se retrouve à porter la faute sur elle. Cela rend le film d’autant plus terrifiant que Cecilia voit ses proches l’abandonner, la forçant à faire face, seule, aux violentes attaques d’Adrian. Leigh Whannell explique qu’il voulait évoquer ces femmes victimes de violences qu’on ne prend pas au sérieux – qui tentent de prouver que quelque chose d’affreux leur est arrivé sans parvenir à en convaincre qui que ce soit. Dans Invisible Man, avant même qu’il ne le devienne, Adrian est déjà un monstre. Bien que son passé avec Cecilia ne soit jamais montré à l’écran, les cicatrices émotionnelles qu’il lui a laissées sont visibles sur tout le visage remarquablement expressif d’Elisabeth Moss. Dans la scène d’ouverture du film, Cecilia met en scène une évasion qu’elle a clairement planifiée depuis longtemps, fuyant sa villa moderne surplombant l’océan Pacifique pendant qu’il dort. Elle s’échappe, de justesse, mais la férocité de sa poursuite est aussi terrifiante que tous les événements plus ouvertement horribles qui suivent. Ce que nous ne pouvons pas voir est souvent plus terrifiant qu’un monstre quelconque caché dans le placard, et dans le cas d’Invisible Man – même si nous ne pouvons pas voir Adrian – c’est peut-être le fait que nous connaissions déjà ce type d’homme qui nous fait imaginer le degré de danger auquel Cecilia est exposé et cela provoque bien plus de peur qu’une simple brusque apparition. Le tueur pourrait être, et est très probablement, dans chaque scène, en train de traquer silencieusement sa proie ; elle le sait, comme nous, et c’est extrêmement déroutant, surtout quand on peut parfois entendre le moindre bruit venant d’un coin de la pièce : une légère respiration, le craquement du plancher, ou le bruissement de certains vêtements. Le son joue d’ailleurs un rôle énorme dans un film où l’antagoniste n’est pas visible. 

Whannell a commencé à réaliser ses propres scénarios il y a quelques années et il s’est constamment amélioré à chaque projet. Invisible Man lui apporte la reconnaissance comme grand cinéaste de genre, sachant comment déployer avec précision des éléments formels comme la conception sonore, la musique, le montage, le cadrage et même de petits changements d’orientation, pour susciter des réactions de ses spectateurs. Comme dans son son dernier long métrage, Upgrade, il se concentre dans l’utilisation de la caméra afin d’accentuer l’histoire et une ambiance particulière, pleine de suspense et de subjectivité. Ici il utilise des plans larges qui s’attardent pour maintenir la tension, rendant évident dès les premiers moments du film qu’alors que la paranoïa de Cecilia se construit, la nôtre le fait aussi. Adrian, dont nous avons très vite compris sa monstruosité, pourrait être n’importe où et se manifester n’importe quand – traquant Cecilia, la tourmentant et la hantant même dans sa mort supposée. En fait, Whannell nous amène, dès les premières images et jusqu’à la fin, à observer le décor, cherchant à percevoir l’invisible dans le visible. Dès le générique d’ouverture, qui préfigure habilement l’apogée du film et son épilogue, il a le contrôle total. Il tient le public constamment en haleine avec des choses aussi simples que des mouvements de caméra dans de longs couloirs, et des panoramiques s’éloignant de Moss vers les coins vides des pièces – mais sont-elles vides après tout ? Et plus il s’accroche à des décors ordinaires comme la cuisine d’une maison de banlieue à l’heure du petit déjeuner, plus l’immobilité devient un immense suspense. Le travail du directeur de la photographie, Stefan Duscio, est ici exquis. Duscio, qui a déjà travaillé avec Whannell sur Upgrade, apporte ici ce qu’il faut pour rendre le public presque complice des événements. Nous ne savons jamais d’où viendra la prochaine attaque, même si nous la regardons en face. 

Pourtant, toutes la technique ne fonctionnerait pas sans l’incroyable Elisabeth Moss (Mad Men, The Handmaid’s Tale, Her Smell, Les Baronnes…), qui joue la détérioration émotionnelle de Cecilia avec une authenticité remarquable. Elle interprète ce rôle de femme assiégée, mentalement et physiquement, avec une telle habileté qu’il n’est pas trop tôt pour dire que c’est la première performance féminine digne d’un Oscar pour l’année qui débute. Cecilia n’a pas un rôle bavard, alors Whannell s’attarde sur son visage avec de nombreux gros plan et il laisse ses yeux ainsi nous dire tout. Et plus elle semble malade mentalement, plus ses mauvais choix – comme entrer seule dans un grenier sombre la nuit quand on pense qu’un homme invisible pourrait s’y trouver – ressemblent moins à un scénario douteux qu’aux actes d’une personne en détresse qui ne pense plus clairement. Oui, Elisabeth Moss excelle dans ce rôle, mettant une fois de plus en valeur son incroyable éventail de talents. Sa performance transforme le film en quelque chose de bien plus profond qu’un film d’horreur standard.

En conclusion, Invisible Man est aussi réfléchi que divertissant, aussi dérangeant qu’effrayant, et reste bien présent avec vous après que vous ayez quitté le cinéma. C’est un grand film !