Être totalement dépaysé sans quitter l’Ile-de-France, et se sentir proche de peuples qu’un siècle sépare de nous, c’est le voyage que propose le musée-jardin Albert Kahn à Boulogne-Billancourt, qui vient de rouvrir ses portes.

Après sept années de travaux, le public peut redécouvrir depuis un mois un lieu unique et magique, où le voyage se décline sous bien des formes. Au premier abord, l’architecture du bâtiment, confiée au japonais Kengo Kuma, peut déconcerter. L’artiste a voulu déployer les volumes d’un origami, là où le commun des mortels est tenté de voir de la tôle ondulée. Mais ne nous arrêtons pas sur cette première impression, et poussons la porte de ce musée départemental, qui fut longtemps l’œuvre d’un seul homme.

Au début du XXème siècle, le richissime banquier Albert Kahn conçoit un projet : documenter tout autour du monde l’activité humaine « dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps », selon lui (nous sommes en 1909). Par une meilleure connaissance, il espère une meilleure entente entre les peuples – et peut-être la fin des conflits. Né en Alsace en 1860, et un temps Allemand, il pense au-delà des frontières et se veut promoteur de la paix entre les hommes. Grand voyageur lui-même, il va surtout doter une douzaine d’opérateurs à son service – dont une femme, Marguerite Mespoulet – des derniers outils pour filmer et photographier les lieux remarquables mais surtout les autochtones, dans près d’une soixantaine de pays. Afrique, Asie, Europe, Amérique… il constitue une collection unique de films et photographies, les Archives de la Planète.

Si ce projet repose sur les dernières découvertes des frères Lumière, il doit aussi beaucoup à l’utilisation des autochromes, un procédé photographique sur plaque de verre, en couleur. Le musée en possède 72000, et seule une petite partie est exposée.

Dès l’arrivée dans le musée, outre l’architecture ouverte sur le jardin – nous y reviendrons – on est immédiatement happé par le mur des photographies collectées un peu partout sur le Globe, et qui ne rassemble qu’une infime part de la collection.

Merveilleusement mis en valeur, ces clichés en couleur sont saisissants par leur modernité.

Le Pont du Gard, le tombeau des Ming, le David de Michel Ange à Florence, une église orthodoxe en pleine Russie, le mont Fuji ou la pyramide de Gizeh, ces lieux nous apparaissent à peine différents de ce que nous en connaissons aujourd’hui.

Mais ce qui frappe le plus, ce sont les portraits. Tous ces personnages nous semblent contemporains, tant le piqué est net, et les expressions naturelles. Pope en habit, geisha en tenue traditionnelle, paysans turcs, jeune alsacienne à la coiffe tricolore, enfants africains, jeune femme d’Europe Centrale en tenue traditionnelle… ils nous regardent et nous interrogent à un siècle de distance. Si loin, si proches.
Albert Kahn possédait un studio chez lui et proposait souvent à ses invités inconnus ou célèbres de se faire tirer le portrait. C’est une galerie abondante qui nous renseigne sur une certaine société de son époque : une mère avec ses bambins en culottes courtes, une jeune femme timide, un garçon au regard affirmé, des élégantes aux coiffes triomphantes, mais aussi Maurice Barrès, le peintre Fujita, Paul Doumer, Colette, Auguste Rodin, des ambassadeurs, des comtesses, des hommes d’affaires…

Tout un petit monde qui a posé pour l’éternité devant le célèbre rideau vert. Ce rideau vert, vous pouvez le retrouver au premier étage du musée où l’exposition se poursuit et où vous découvrirez également une cabine photographique pour vous immortaliser à votre tour – seul ou en groupe – façon autochrome. Un souvenir dont vous ne conserverez cependant que la version électronique, envoyée par mail.

Le musée recèle un autre trésor, et c’est à l’extérieur que vous le trouverez. A travers baies vitrées et claires-voies, l’architecture du bâtiment qui reprend le principe japonais de l’engawa – un espace entre intérieur et extérieur – met en scène de manière spectaculaire les jardins, l’autre passion d’Albert Kahn. Car dès son installation en 1895 dans ce qui fut son hôtel particulier de Boulogne-Billancourt, il confie à des paysagistes le soin de faire cohabiter différents jardins dans un même lieu – toujours cette manie de rapprocher les distances.

Jardin à la française, jardin anglais, verger, forêt vosgienne, et surtout, un jardin japonais de toute beauté.

Pont de bois, porte, pavillon de thé, lanternes de pierre, rivière de galets, bassin aux carpes Koï et tourbillons d’eau vous emportent au pays du Soleil Levant. C’est à couper le souffle, et, croyez-moi, je sais de quoi je parle.

Si la crise de 1929 a eu raison de la fortune du philanthrope, son œuvre reste intacte et ses intentions nobles perdurent au-delà du temps.
Une visite aussi intéressante que délicieuse, à faire seul ou entre amis, et avec des enfants à partir de 8 ans sans aucun problème. Prévoyez une heure à une heure trente pour le musée en lui-même et autant pour les jardins dans lesquels vous aurez nul doute plaisir à vous poser pour retrouver la sérénité.

En pratique :

– 2 rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt (metro ligne 10, station Pont de Saint-Cloud)
– ouvert du mardi au dimanche
– Tarif 8 € (5€ tarif réduit) et gratuit pour les moins de 26 ans. Il est fortement conseillé de réserver en ligne car l’affluence est forte, en particulier aux beaux jours.
– https://albert-kahn.hauts-de-seine.fr/