Entretien avec Alexis Troude, l’organisateur.
Pourquoi organiser cette conférence?
L’objectif de cette exposition-conférence est à la fois spirituel et historique. Afin de prévenir toute répétition de l’histoire, il faut avant tout dénoncer la barbarie en particulier quand elle s’exerce sur les enfants. Nous relèverons qu’une idéologie mortifère peut arriver à ses fins, même dans un cadre démocratique : la Yougoslavie d’avant-guerre. Le but est enfin de faire connaître, pour la première fois en France, la barbarie oustachie à travers le camp de Jasenovac. Ce lieu est par ordre d’importance des victimes, le troisième camp d’extermination européen après Auschwitz et Treblinka et le seul camp où a été organisée la mort systématique d’enfants.
En effet, entre août 1941 et avril 1945, plus de 300 000 Serbes, Tziganes et Juifs y trouvèrent la mort ; parmi eux, 52 000 enfants. Cela nous pose, à nous citoyens du XXIe siècle, une série de questions :
- Pourquoi une partie de la population croate, formée de miliciens oustachis, a-t-elle pu en arriver à organiser la conversion forcée ou l’extermination sur des critères religieux des orthodoxes, roms, juifs et protestants ?
- Comment la barbarie a-t-elle pu se mettre en place dans le camp de concentration et d’extermination de Jasenovac ?
- Comment l’Homme a-t-il pu en arriver à réaliser un système concentrationnaire débouchant sur la disparition de femmes et d’enfants ?
Pouvez-vous nous en dire plus sur Jasenovac?
Au moment où l’armée allemande pénètre dans les Balkans en avril 1941, Jasenovac est un village situé dans la banovine (province) de Croatie, faisant partie du royaume de Yougoslavie. Lors de son avancée rapide, la Wermacht est accueillie par une partie de la population croate comme une armée de libération, alors qu’à Belgrade elle devra s’opposer à une population hostile.
Dès le mois d’avril 1941, Mile Budak, ministre des Affaires religieuses, de l’Éducation et des Cultes du tout nouvel « État indépendant de Croatie », annonce la couleur : « nous allons convertir un tiers des Serbes, en expulser un tiers et en exterminer un tiers ». Fidèle à ce principe, le poglavnik (le Duce des oustachis) Ante Pavelić fait ouvrir dès le mois d’août 1941, soit un an et demi avant Auschwitz, le camp de concentration de Jasenovac. Au bord de la rivière Sava, des dizaines de milliers de Serbes, Roms, Juifs et résistants antifascistes sont contraints par les gardes oustachis de travailler jusqu’à épuisement dans les mines et à la construction d’un canal. Très vite, la barbarie s’installe et Jasenovac devient également un camp d’extermination. Le Consul de France à Zagreb témoigne, atterré, de l’exécution systématique à coups de pioche des hommes à la sortie de la mine. La barbarie atteint un tel niveau que les officiers nazis, dont Himmler, intiment au printemps 1942 l’ordre d ’arrêter ce processus génocidaire d’une brutalité inouïe. Mais il faudra attendre la révolte du 22 avril 1945 pour qu’il soit stoppé.