C’est la très belle sortie française du mercredi 29 mars et à quelques jours de la fête de Pâques, célébration d’une résurrection comme une victoire de la vie sur la mort.
Je verrai toujours vos visages, troisième long métrage de Jeanne Herry, après notamment le bouleversant Pupille qui lui avait valu 7 nominations aux César 2019 mais tristement aucun prix. Elle consacre son récit et nous plonge, par là-même, au cœur des mécanismes humains, psychologiques, émotionnels de la justice restaurative. Un vrai coup de cœur pour le fond et la forme, pour tout ce qui jaillit de ces 1h58 d’images et de paroles, telles des pulsions de vie face à l’horreur et les conséquences du mal.
Depuis 2014, en France, la justice restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme Judith, Fanny ou Michel. Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de justice restaurative. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation…
La justice restaurative a pour objectif d’offrir à la personne (victime ou auteur d’une infraction), ainsi éventuellement qu’à ses proches, un espace de dialogue sécurisé et respectueux de tous ceux qui y participent. Par l’écoute et l’instauration d’un dialogue entre les participants, elle contribue à la reconstruction de la victime, à la responsabilisation de l’auteur, à sa réintégration dans la société, à l’apaisement de tous, avec un objectif large de rétablissement de la paix sociale.
La justice restaurative n’est pas nouvelle, puisque les tribus aborigènes et les communautés amérindiennes la pratiquent traditionnellement pour ressouder les liens mis à mal par une injure, une trahison ou un crime grave au sein d’une communauté. Mais depuis un certain temps déjà, cette pratique se développe aussi dans nos sociétés modernes.
Au départ, ce sont des pasteurs mennonites qui se sont chargés de répandre la bonne parole en Amérique du Nord et au Canada. Mais la justice restaurative est désormais l’affaire de tous, même si les aumôniers sont souvent des acteurs importants en milieux carcéraux. En France, elle a été introduite dans le Code de procédure pénale par la loi du 15 août 2014. Il est désormais possible à toute personne victime ou auteur d’une infraction pénale de se voir proposer une mesure de justice restaurative, à tous les stades de la procédure pénale.
La médiation, le dialogue, les rencontres
Dans Je verrai toujours vos visage Jeanne Herry nous donne d’entrer dans deux processus différents et complémentaires de justice restaurative. Il y a la médiation tout d’abord, qui cherche à se construire dans l’histoire d’un viol incestueux sur Chloé (Adèle Exarchopoulos) par son frère Benjamin (Raphaël Quenard). Mais il y a donc aussi, un autre versant, également fil conducteur du scénario, qui nous plonge aux confins d’une prison et avec elle celle aussi du syndrome post-traumatique, pour un long cheminement sous forme d’un groupe de parole, permettant à des victimes d’agressions, Sabine (Miou Miou), Grégoire (Gilles Lellouche) et Nawelle (Leila Bekhti), de rencontrer et parler avec des condamnés (qui ne sont pas les auteurs directs des agressions de ces victimes), Nassim (Dali Benssalah), Issa (Birane Ba) et Thomas (Fred Testot) qui acceptent le défi et les règles précises qui encadrent tout cela. Ces deux récits parallèles se croisent par le biais des rencontres entre Michel (Jean-Pierre Darroussin), Fanny (Suliane Brahim) et Judith (Elodie Bouchez), tous trois intervenants de cette justice restaurative.
Il y aurait tant à dire… et d’ailleurs, soulignons que ce film est un merveilleux support pour des ciné-débats, des rencontres sur ces questions. Il positionne avec intelligence et subtilité tous les enjeux de la pratique, les défis constants, les joies et les risques, sans jamais appuyer excessivement là où ça fait mal et tomber dans un pathos maladroit qui desservirait l’objectif.
Mais en même temps, l’émotion est permanente en étant le fruit d’une interprétation juste et bouleversante de toutes les comédiennes et comédiens. Personnellement, Leila Bekhti et Adèle Exarchopoulos m’ont subjugué dans l’intensité mesurée de leurs interprétations. Mais que dire de Miou Miou, de Lelouche, de Suliane Brahim ou de Dali Benssalah ? Tous sont absolument parfaits dans des rôles ou la posture et la parole sont primordiaux.
Car la justice restaurative est d’abord un espace de parole sécurisé qui se crée. Et Je verrai toujours vos visages est exactement cela, grandeur nature. Un film comme espace de parole sécurisé. La parole au sens noble du terme… pas de bavardages inutiles (même ceux qui pourraient y ressembler sont en fait d’une efficacité redoutable pour laisser tomber la pression et déclencher un sourire bienvenu), mais des mots qui comptent. J’ai voulu noter pendant la diffusion, comme je le fais souvent avant l’écriture d’un article, les répliques qui me touchaient mais finalement je me retrouvais à écrire constamment… Quelques phrases néanmoins prises ici ou là :
– J’y vais comme à un combat. J’suis en colère moi.
– Je veux comprendre cette violence. Je ne veux plus avoir peur.
– Je me voyais dans ses lunettes avec son arme sur ma tête… Si j’avais pleuré je n’aurais pas sombré comme ça après.
– Quand on fait des braquages, les victimes on ne les voit pas.
– J’ai toujours aimé la drogue. Je m’dis que si j’avais aimé la musique ou la peinture comme ça, j’aurais été Picasso.
– J’avais décidé de me suicider… J’sais pas ce que ça m’a fait, mais je suis là !
– Même 1 an c’est long. Il y en a des heures et des minutes.
– C’est d’ma faute aussi. Je n’aurai jamais dû sortir à cette heure-là. J’suis plus rien, j’sers a rien. Les gens me disent : c’est pas grave… (et un prisonnier lui répond) Si c’est grave !
– Ça m’tord le bide quand je sais que tu protèges mon frère autant que moi…
Et ce ne sont que quelques exemples, évidemment.
Jeanne Herry dirige ses acteurs et filme avec générosité et grand sens de l’image. Chaque visage compte, chaque plan est important. Il y a comme le sentiment d’une préciosité de chaque instant chez cette réalisatrice qui confirme-là son talent immense et son importance dans un cinéma français humaniste et social.
Je terminerai en soulignant que Je verrai toujours vos visages est important aussi dans le sens qu’il n’idéalise rien. C’est d’ailleurs dans cette perspective que le film s’installe avec une très belle scène de jeux de rôle mené par Denis Podalydès, formant les futurs animateurs de cette justice restaurative. En réaction à leur interprétation, il s’exclame : « Soutiens-là en écoutant. C’est ce que tu peux faire de mieux. On ne parle pas à leurs places. On écoute, on accueille inconditionnellement. Mode avion ! La justice restaurative c’est un sport de combat ».
Un processus comme un chemin fait de risques, de joies et de souffrance, de silence et de respect, un combat pour la vie… avec parfois des questionnements qui se prolongent et n’ont pas forcément de fin. Un chemin qui grimpe dur, comme dit la chanson, mais qui, quoi qu’il en soit et en coûte, ouvre à l’espérance, comme un tombeau vide et les réactions et rencontres qu’il suscite (cf. Jean 20-21).