Cette période que nous vivons offre paradoxalement de vrais petits bonheurs. Je vous en propose un aujourd’hui, à vivre chez vous… Car, quand un intelligent et excellent « feel-good movie » à la française, Le retour de Richard 3 par le train de 9H24, qui est à sa façon une allégorie du confinement en famille, s’offre en avant-première à tous les spectateurs connectés jusqu’à la fin de la crise du covid-19, on ne passe surtout pas à côté !
Un homme condamné par la médecine engage des comédiens pour jouer sa famille disparue et l’aider à se réconcilier avec elle afin de partir en paix. Philippe-Henry, dit PH, a distribué les rôles et chacun intervient selon des fiches écrites par l’intéressé. Mais à un mot près ou une attitude déviante, le scénario se grippe et chacun improvise, semant le trouble dans la catharsis programmée. À la névrose de cet homme s’ajoute donc celle de ces acteurs qui ne facilitent pas vraiment le chemin de paix que souhaitait emprunter leur commanditaire. Mais sait-on jamais ?…
Typiquement, nous sommes là face à ce genre de film qui part d’un pitch pas banal et franchement farfelu, pour aboutir à une véritable œuvre atypique mais formidable qui fait un bien fou au cinéma et, par voie naturelle de conséquences aux spectateurs qui auront la finesse de se donner un peu moins d’1h30 pour bénéficier de ce cadeau. Car, qui plus est aujourd’hui, c’est un vrai cadeau concret offert par le réalisateur et les producteurs qui nous est fait en mettant en libre accès sur internet ce long métrage appelé à sortir au cinéma plus tard, quand les salles obscures pourront à nouveau laisser la lumière jaillir et livrer de la vie et de l’art sur les écrans.
C’est un jeu de rôle que le réalisateur Eric Bu met en scène sur un scénario original et des dialogues de Gilles Dyrek, qui se retrouve aussi être l’un des acteurs du film. Un jeu de rôle assez morbide, et franchement pas classique. Car se réinventer sa famille qui serait disparue dans un accident d’avion, avec une bande de comédiens en mal d’un cachet pour subsister dans le métier, pour régler ses problèmes passés avant de mourir, ça n’est sans doute pas le jeu de rôle le plus évident qui soit à inventer. Mais finalement, en y réfléchissant un peu, les « problèmes de familles », c’est en même temps la réalité de tous, d’une façon ou d’une autre. Les fameux repas où l’on s’engueule joyeusement… les non-dits, les trahisons, les maladies… un condensé de la vie, de la société, dans ce qui en est son maillon fort et son maillon faible à la fois ; dans ce qui en est sans doute son noyau central, son essence, sa cellule souche pour être un peu plus dans le vocabulaire du moment. La famille dans toute sa splendeur et toute sa tragédie !
Un scénario façon terrain bien instable certainement, où les apparences et la fiction s’emmêlent joliment les pieds dans des vérités contraires et contraintes par des circonstances exceptionnelles. L’humour est là, éclatant et frisant parfois l’absurde, mais utile toujours. Servant, comme sur un plateau doré, les ingrédients pour réfléchir à nos comportements, nos relations, et à l’amour. Car il y a de l’amour qui jaillit là aussi, façon tendresse très souvent, au coin d’une émotion, d’un geste, d’une parole.
Un casting redoutable qui est aussi une force évidente de ce Retour de Richard 3 et qui nous rappelle combien nos comédiens français sont bons et pertinents ! Important donc de les citer : Hervé Dubourjal, Sophie Forte, Camille Bardery, Amandine Barbotte, Lauriane Escaffre, Gilles Direk, Ariane Gardel (qui livre une tirade vers la fin, tout à fait remarquable, façon uppercut qui vous met KO debout), Benjamin Alazraki, Yvonnick Muller et, je choisis volontairement de finir par lui, Jean-Gilles Barbier dans le rôle de Richard 2 (les chiffres sont à comprendre seulement en regardant le film !) d’une justesse tout à fait parfaite. Pour info d’ailleurs, le film a été sélectionné et remarqué dans de nombreux festivals, notamment aux USA, et a remporté plusieurs prix. Présenté au cinéma Utopia, lors du dernier festival d’Avignon 2019, il est maintenant prévu que le film soit également adapté pour la scène et créé pour Avignon 2021 avec la même équipe !
Dans la période qui est la nôtre, et où le culturel est en train de s’en prendre plein les dents avec ce virus et les décisions mises en place pour tenter de l’éradiquer ou du moins le freiner dans sa propagation dramatique, et puisque le scénario met en lumière le travail de comédiens, voilà une belle occasion qui m’est offerte de rappeler l’importance de ne pas oublier toutes celles et ceux qui en vivent pour eux, bien sûr, mais surtout pour nous… et qui risquent d’en payer le prix fort. Cette culture qui n’est pas un bonus pour mieux être, mais qui est un véritable socle de l’existence et d’une utilité primordiale à nos sociétés. Alors, sachons aussi applaudir et faire du bruit pour tous ces artistes qui continuent, vaille que vaille, de produire, d’inventer, d’offrir… pour éveiller nos consciences, pour agrémenter nos jours et nos nuits, pour que nos esprits et nos âmes ne s’affadissent pas devant les news de BFM ou les éructations nauséabondes qu’offrent de plus en plus les réseaux sociaux où tout est permis (mais tout n’est pas utile !). La culture est encore là… Dieu merci !
Mais revenons à nos moutons, qui ici ne sont pas ceux de Panurge, car ils ne filent pas droit et ne se laissent pas conter (et/ou compter) facilement. Eric Bu nous livre un film très drôle, rafraichissant et formidablement inspirant ! À voir seul, en famille… et plus tard, revoir au cinéma avec d’autres et en parler… car c’est un outil aussi remarquable pour amener à un débat qui ne pourra qu’être riche et passionnant !
Ah… au fait, j’allais oublier… la question qui tue : Connait-on toujours sa vraie famille ?
Pour voir le film dès maintenant, et gratuitement, jusqu’au 11 mai : http://leretourderichard3.com