C’est bien sur grand écran qu’il faut découvrir Killers of the Flower Moon plutôt que, dans quelques mois, lorsqu’il arrivera ans sa dernière demeure sur la plateforme Apple TV+.

Scorsese réalise une œuvre d’art stupéfiante et intemporelle sur l’humanité et la façon dont nous nous voyons et nous traitons les uns les autres.

Au début du XXème siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent que possible à la communauté Osage avant de recourir au meurtre…

Le synopsis est évidemment on ne peut plus réducteur… comment résumer un Scorsese de cette trempe, de près de 3h30, en quelques caractères ? Allons donc un peu plus loin… Killers of the Flower Moon traite en fait d’un type de gangstérisme que l’Amérique a longtemps refusé d’affronter, d’un effort organisé pour voler et massacrer ses populations indigènes à des fins lucratives.

En 1894, du pétrole a été découvert sur des terres appartenant à la nation Osage. Les Osages se sont assurés la propriété des droits miniers et sont devenus le peuple le plus riche par habitant de la planète comme le précise quelques lignes dès le début du film. Puis « les loups » sont arrivés… À l’aube d’un nouveau siècle, et pendant une période connue sous le nom du « règne de la terreur », des dizaines d’Osages ont été assassinés, leurs parts des droits pétroliers ayant été spoliées par héritage par des conspirateurs blancs qui s’étaient mariés avec des filles Osage.

Adapté du livre éponyme publié en 2017 par le journaliste américain David Grann – et sous-titré The Osage Murders and the Birth of the FBI -, Killers of the Flower Moon nous ramène au début des années 1920, et se concentre sur l’un d’entre eux, Ernest Burkhart, interprété par Leonardo DiCaprio, qui est arrivé à Fairfax, en Oklahoma, et a épousé Mollie Kyle (Lily Gladstone) sur ordre de son oncle, William Hale (Robert De Niro), véritable « parrain » manipulateur de cette organisation de réappropriation.

Le trio Leonardo DiCaprio, Robert De Niro et Lily Gladstone est tout simplement excellent. Jesse Plemons est également très bon, mais il n’apparaît qu’au troisième acte, avec moins de couches dans son personnage. Les trois principaux acteurs effectuent cependant un travail formidable. DiCaprio n’a jamais été invité à jouer ce genre de rôle auparavant, ce qu’il apprécie visiblement. Homme simple, paradoxalement aimant, mais faible et immensément laid au plus profond de son âme, il transparait une forme de noirceur dans ses yeux, surtout lorsqu’il est poussé à commettre des actes de plus en plus graves.

De Niro, quant à lui, incarne (une fois de plus) le diable qui se cache derrière tout cela, affichant une façade obsédante de chef de communauté bienveillant, alors que dans l’ombre, il agit plutôt comme un chef mafieux. De Niro n’a pas été aussi bon depuis très longtemps. Avec Lily Gladstone, ils dominent l’écran dès leur apparition, représentant les deux côtés opposés de ce conte moral, au sens propre comme au sens figuré.

Lily Gladstone constitue plus précisément le centre de gravité et le noyau émotionnel du récit. Elle offre l’une des performances féminines les plus poignantes de tous les films de Scorsese.

Elle est d’une beauté sereine et empathique mais finalement pas si sainte qu’il n’y parait… Une formidable figure de proue tragédienne. C’est ce rôle et cette grande interprétation qui restent particulièrement gravé dans les mémoires après le générique de fin.

Scorsese, qui a coécrit avec Eric Roth en plus de la réalisation, continue de nous éblouir par une maîtrise exemplaire du métier. Qu’il s’agisse de la photographie de Rodrigo Prieto, du montage de Thelma Schoonmaker ou de la musique, tout est magnifique. Cette BO justement – comme une dernière valse cinématographique pour le regretté Robbie Robertson – est absolument fantastique, en particulier le motif rétro-basse récurrent, minimal, à deux notes, qui fait efficacement monter la tension à des moments clés. Ajoutez à cela les costumes de Jacqueline West, ainsi que le design de production de Jack Fisk, et vous obtenez la perfection technique.

Roth et Scorsese ont recours à la violence et à l’humour grinçant qui caractérisent le réalisateur, mais ils ruminent également l’injustice. Tout cela conduit à une conclusion clairement grandiose, brillante dont je vous réserve la découverte. On comprend alors qu’il ne s’agit pas seulement d’une bouleversante histoire sur la cupidité, le pouvoir et la façon dont nous nous traitons les uns les autres, mais qu’il s’agit également du récit des personnes dont l’histoire est racontée et sur la façon dont on s’en souvient.

Killers of the Flower Moon nous interroge sur notre rapport à l’histoire. Il nous rappelle en passant que les gens que l’on voit sur de vieilles photos sépia et qui donnent l’impression d’être des « personnages historiques » étaient plus que cela.

Les membres de la nation Osage brutalement tués pour l’argent du pétrole étaient réels, tout comme nous. Ils riaient, ils pleuraient, ils avaient des espoirs et des rêves, et ils souffraient comme tout le monde. Et d’autres personnes – des personnes tout aussi réelles que vous et moi – leur ont pris tout cela pour deux raisons. D’une part, parce qu’ils ne considéraient pas les Osages comme de vrais êtres humains et, d’autre part, parce qu’ils avaient le pouvoir.

Préparez-vous donc, certes, à un long film, mais aussi, et surtout, à l’un des meilleurs de l’année, sans aucun doute. Chapeau Scorsese !

Pour aller plus loin :

Deux livres :
« La Note américaine » de David Grann – Pocket – 432 pages
« Martin Scorsese : filmer la passion » d’Aurélien Clappe – Empreinte temps présent – 180 pages

> Aurélien Clappe sera l’invité de Jean-Luc Gadreau dans Solae, le rendez-vous protestant sur France Culture le dimanche 12 novembre à 8h30, dans une émission consacrée à Martin Scorsese.

Un film documentaire (critique en ligne la semaine prochaine) : « Un pont au-dessus de l’océan » de Francis Fourcou – sortie le 25/10/23.
Un film racontant l’histoire incroyable d’amitié entre les Osages et les Occitans.