Avec un prénom d’initiales, un patronyme en pastiche de Stendhal, on pourrait croire que cet écrivain nous invite aux cymbales de l’épopée. JMG Le Clézio, tout au contraire, saisit son lecteur par le colbac, indigné par les injustices, armé de phrases claires et cependant rugueuses. Il explique, analyse, décrit, ne lâche pas. C’est ainsi qu’il assaille. Les images qu’il fait naître ne viennent pas d’un quelconque effet de manche. La séduction n’est pas son genre. Seule compte à ses mots comme à ses yeux ce qu’il raconte. Un Giono des confins, niçois de naissance, mauricien d’héritage, armoricain de feu.

Chanson bretonne suivi de L’enfant de guerre (Gallimard, 154 p. 16,50 €) vient de sortir. On pense : « il a bien de la chance » et puis l’on se ravise parce que, précisément grâce à lui, nous pouvons sortir aussi. Les souvenirs ont la belle vie dans ce nouveau livre de Le Clézio. « Les chemins creux nous menaient jusqu’au bord de l’Odet, dans les bois qui semblaient n’appartenir à personne, habités par les sangliers et les chevreuils, les renards, les blaireaux. »  Les personnages, comme au coin d’une forêt de chouans surgissent : « Madame Le Dour était une femme trapue et solide, toujours vêtue de noir et portant tablier, mais elle ne mettait jamais le costume et à son chignon, au lieu de l’extravagant chapeau de dentelle, elle avait juste un petit nœud de velours noir à l’ancienne. »

D’un chapitre à l’autre hélas, de « Marée basse » en « Doryphores », la guerre approche. Atroce au narrateur. « Ce grand vide de mon enfance dans la guerre, comment vais-je le combler ? Toutes ces années perdues, enfermées, affamées, isolées, comment les retrouver ? Comment les accepter ? L’absence de mon père, à ma naissance, puis durant le temps de mon enfance, comme si j’étais orphelin, ou enfant trouvé. Mais de mettre des mots sur cette absence, ou cet abandon, ne me permet pas de m’y résoudre, puisque ce n’est pas lui qui s’est séparé de nous, c’est le monde en état de chaos, cette folie universelle qui a rompu le contact entre l’enfant et son père ».

Aux belles âmes de la vingt-cinquième heure on laisse le soin de s’exclamer que d’autres enfants vécurent l’enfer. Le propos de Le Clézio n’est pas de geindre, mais d’alerter. Le passé s’invite à notre table. Qu’en faisons-nous ? L’écrivain lance des points d’interrogation, sans fioriture, avec l’énergie de la colère. Il interroge la faim, la misère d’autrefois. Cette remémoration n’a de sens que par l’interpellation qui nous est adressée. Puisse l’affliction du romancier nous consoler des bouleversements contemporains.

Face à la pandémie, chacun sa manière d’être. Ainsi, tous les jours à 15 heures depuis le 16 mars, un monsieur marche au bas de son immeuble. Imprimant à sa déambulation la tranquillité de la sagesse, le vieil homme respire l’onde.  Un joli mot que celui-ci. Parmi les douze  occurrences du Littré, notons cette définition : «…des teintes, des nuances qui imitent une onde. Les ondes de la moire. Les ondes d’un bois veiné. »  L’époque est au changement de couleurs. La tragédie de ce printemps convoque les remugles de l’eau qui se soulève. A quoi ressemblera notre univers quand les savants, la chance et la prudence de tous auront permis de souffler la sinistre flamme du virus ? On est bien en peine de le dire. En attendant, chacun parle  en déclarant qu’il faut se taire, écrit des messages en affirmant que l’heure est au retrait. La mort est là, qui provoque l’effroi.

Puisque tout marche à l’envers, puisque nos habitudes en éclats viennent de voler, voici le préambule en guise de conclusion. Cette première missive s’inscrit dans la tradition que l’on appelle un blog- un mot contractant « web » et « log » lequel signifie « petit morceau de bois », mais ne nous égarons pas. L’auteur de ces lignes aimerait, de fil en aiguille, en faire un feuilleton.

Judex et Fantômas peuvent dormir tranquilles : ce n’est pas le coup de théâtre que l’on trouvera chaque semaine ici.  Mais le rebond, peut-être. On évoquera des livres et le jardin des musiques, des rencontres fortuites, à contretemps, contre-danse et contre-pied, pour le plaisir du jeu, car il n’est rien de plus beau qu’une descente de trois quarts, quand l’ovale discipliné du ballon permet de tenter tous les essais.  A vous de le saisir, à vous de courir. En liberté.