En 2017, Le Caire confidentiel, du réalisateur suédo-égyptien Tarik Saleh – polar inspiré d’une terrible histoire vraie (le meurtre de la chanteuse libanaise Suzanne Tamim) – a fait l’objet d’une vive controverse et a finalement été interdit en Égypte en raison de sa description approfondie de la corruption policière dans l’Égypte moderne. Cinq ans plus tard, Saleh est de retour avec La Conspiration du Caire, un long métrage fascinant qui aborde les dures réalités du pays, en explorant cette fois les relations compliquées et corrompues entre religion et politique.
Adam (Tawfeek Barhom) est le fils d’un pêcheur de la ville de Manzala, dans le nord du pays. Il est ravi d’apprendre par son imam local qu’il va recevoir une bourse de l’État pour étudier la pensée islamique à la prestigieuse université Al-Azhar du Caire. Une fois arrivé à l’université, il est impressionné par la discipline, la rigueur et l’atmosphère de piété, mais il est également déconcerté lorsqu’un camarade de classe lui offre une cigarette et l’invite à sortir pour une soirée en ville.
Lorsque le grand imam décède d’une crise cardiaque alors qu’il s’adresse à l’ensemble des étudiants, les cartes politiques et religieuse sont rabattues. Les autres imams se livrent immédiatement à des manœuvres politiques pour déterminer qui occupera un poste à l’influence politique considérable.
Le désarroi et la détresse d’Adam s’aggravent lorsqu’il assiste au meurtre de son nouvel ami étudiant. Il est bientôt contacté par un agent de renseignement, le colonel Ibrahim (joué par Fares Fares) qui lui fait comprendre que son ami était un informateur « dirigé » par l’appareil de sécurité de l’État, qui rendait compte secrètement au gouvernement des opinions politiques subversives des imams.
La Conspiration du Caire est non seulement un thriller d’espionnage passionnant, qui se déroule au cœur de l’université islamique Al-Azhar au Caire, avec les institutions religieuses et laïques de l’Égypte en toiles de fond, mais c’est aussi une histoire qui interroge le passage à l’âge adulte d’un jeune homme pauvre cherchant à trouver sa place dans le monde et à explorer sa relation avec sa foi dans un contexte politique et religieux oppressant. Un jeu constant de luttes internes et externes, en sommes…
Al-Azhar est l’une des plus vieilles universités du monde et l’une des institutions les plus importantes aujourd’hui pour comprendre l’islam et ses évolutions.
Mais en réalité, Al-Azhar c’est aussi une mosquée, un centre de pouvoir théologique et enfin un réseau d’éducation religieuse dans tout le pays, qui va, pour les garçons, du primaire à l’université. Elle représente ainsi l’une des « références » (et non une autorité) pour l’islam sunnite.
À côté de l’université, il y a aussi la « macheikha », le siège du grand imam d’Al-Azhar, où il réside avec son assemblée de conseillers. Si le Cheik d’Al Azahr n’est pas un « pape », Al-Azhar est tout de même un lieu où l’on explique comment appliquer l’islam, où l’on fait le fiqh, c’est-à-dire le droit, la loi, qui convient aux croyants.
Saleh aborde son sujet de manière directe, en dépeignant les liens profonds et corrompus au sein de l’Égypte contemporaine et les luttes de pouvoir entre la religion et l’État. La Conspiration du Caire est ainsi évidemment un film audacieux, juxtaposant le spectacle de la foi à une réalité cachée de corruption et d’hypocrisie, mais où personne n’en sort indemne. Si la religion est malmenée, elle n’est pas non plus réduite à néant, grâce notamment à la foi et la sincérité d’Adam. Pour Tarik Saleh, « Ce n’est pas un film à proprement parler sur l’Islam, mais sur l’idéologie et la guerre des idées. Un propos plus politique que religieux ». Et justement, la scène de fin dans la cellule où Adam et le Cheik aveugle dialoguent est un moment de pure intelligence et révèle aussi une certaine dimension de la foi qui l’emporte.
Une œuvre qui rend compte « des débats théologiques » qui traversent aujourd’hui la société égyptienne, comme l’avait souligné le délégué général Thierry Frémeau, lors de sa projection en mai dernier au Festival de Cannes, où il reçut le prix du scénario.
Le film de Saleh fonctionne à plusieurs niveaux car il est un composé de différents genres et peut également être vu comme un film très divertissant, au suspens omniprésent et à l’ambiance étouffante, qui vous tiendra en haleine jusqu’aux derniers moments.