La dernière nuit de Lise Broholm, premier film de Tea Lindeburg est une adaptation du roman autobiographique de Marie Bregendahl, publié en 1912, En Dodsnat (une nuit de mort), devenu l’un des classiques de la littérature danoise.
Un film d’époque qui, pourtant, se propose dans une vraie perspective contemporaine, en combinant onirisme et spiritualité dans une atmosphère faite de mystères et de tension.
Le roman et le film explorent tout deux le point de vue d’une jeune fille nommée Lise (Flora Ofelia Hofmann Lindahl), qui vit dans une ferme avec sa famille, de confession luthérienne, quelque part dans le Danemark du début du XXème siècle.
C’est avec l’enthousiasme de cette jeune fille que commence l’histoire. Lise est sur le point de devenir la première femme à pouvoir quitter ce milieu rural pour aller à l’école (ce qui n’était pas encore le cas pour les femmes à l’époque) grâce à l’aide et au soutien de sa mère Anna (Ida Cæcilie Rasmussen), qui est d’ailleurs sur le point d’accoucher, et malgré la réticence de son père. Elle y voit clairement un moyen d’émancipation, même si un rêve qu’elle a fait qui semble lui indiquer un destin tout autre : au milieu d’un champ, la jeune fille contemple un nuage menaçant qui s’épand en traînées rouges. Anna, de son côté, qui elle aussi a fait un rêve qu’elle interprète comme prophétique, refuse qu’un docteur vienne l’assister durant cette longue et pénible nuit d’enfantement… Elle préfère se fier aux desseins du ciel, son sort semblant devoir être confié à Dieu… Et pour Lise alors, comme une forme d’épée de Damoclès, plane alors la crainte d’une véritable punition divine.
Le film explore l’état d’esprit et les sentiments de Lise, dans ses multiples rencontres qui nous donnent des indices sur son regard sur elle-même, sur sa sexualité et sa responsabilité familiale. Au fur et à mesure que le temps passe, il semble que la prémonition d’Anna puisse être vraie, remplissant la jeune femme de doutes alors qu’elle est déchirée entre son désir de trouver un avenir loin d’un présent morose et son incapacité à tourner le dos à sa mère, la seule personne qui a soutenu son esprit progressiste. Tout cela conduit Lise à s’interroger sur sa foi, et son rapport à Dieu.
Il est très intéressant de voir comment Tea parvient à utiliser la base du roman qu’elle adapte pour aborder des thèmes universels et très actuels, comme notamment le rôle et l’impact de la religion (ou d’un foi pouvant aller au risque du fanatisme) – et conduisant possiblement à des actes ou à des pensées extrémistes -, mais sans laisser de côté une sorte d’aura qui fait parfois penser aux films d’horreur, et en mettant l’accent sur des éléments qui permettront sûrement au public féminin de se connecter de manière plus spéciale avec sa protagoniste. Car il est aussi question de féminité, de perte d’innocence, et de choix existentiels dans ces moments de passage à l’âge adulte. Il y a aussi comme une forme de rage qui se dégage de La dernière nuit de Lise Broholm. Ce cri de douleur d’une femme qui se prolonge dans des scènes ultérieures – éloignées de la source – comme s’il se répercutait dans le temps lui-même. Le fait que la psyché de Lise soit traversée par l’angoisse de sa mère est d’une puissance extraordinaire. Alors vers qui ou vers quoi Lise doit-elle tourner sa colère et sa douleur ? Peut-être en retournant à la source des rêves qu’elle fait et qui ressemblent vraiment à des prémonitions…
La proposition visuelle de ce film nous transporte parfaitement à l’époque dans laquelle se déroule cette histoire.
La palette de couleurs et la conception de la production parviennent à transmettre un sentiment de vie quotidienne et de ruralité authentique, où chaque scène et chaque image que nous voyons ressemble à un tableau.
C’est finalement une impression de dévastation qui persiste jusqu’après même le générique. Voir tous les espoirs du film soudainement mis en péril n’est certainement pas facile à regarder… Ce sentiment ne change pourtant rien au fait que le film a une pertinence qui résonne terriblement aujourd’hui.
Tout peut si facilement déraper en un clin d’œil et il est beaucoup plus facile de se réfugier souvent dans les rôles traditionnels que de chercher à sortir du moule. C’est cette triste réalité que Lindeburg capture à travers un film d’époque, tout en le rendant transposable à notre époque. Il ne fait aucun doute que Tea Lindeburg aura beaucoup d’autres choses à dire dans les années à venir, s’annonçant ici comme une réalisatrice et autrice dotée d’un très fort potentiel.